La loyauté d’Amélie

février 16, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Amélie

Amélie adopte les gens. Elle adopte un Chinois qui ne parle que son dialecte et qui veut visiter le Canada. Elle adopte un petit ami qui aime les couteaux de cuisine et qui disparait avec après. Elle adopte des copines et leur fait connaître la glace aux fraises du Marché Jean-Talon, sa salle de bain et sa porte qui ferme mal, le hula hoop et le pina colada dans un thermos en hiver.

C’est une aristocrate féroce et loyale, collectionnant les annonces d’enfants à donner dans les journaux anglophones et tout ce qui touche ses amis, comme la critique du premier album d’un chanteur qui aimait se coucher en cuillère contre elle.

Elle amasse des chaussettes pour en faire un boa constricteur à donner en cadeau d’anniversaire. Elle fête la St-Valentin le 13 février, ou le 15 février, dans une cuisine qui n’est pas la sienne, à faire des soupes chaudes avec des épices dont je ne connais pas le nom, pour une clique charmée, qui l’écoute parler des maisons de sa belle-mère en Alberta.

Elle envoie des photos d’elle nue dans un bain, avec une expression sur le visage qui ressemble plus à celle d’Amy Sedaris qu’à celle d’une fille posant pour Playboy, elle envoie des photos comme ça pour faire oublier tout ce qui est triste quand elle n’est pas là pour fouetter les ennuis.

Et elle refuse de parler à l’amant d’une copine, pas résolue du tout à l’idée de ne pas revoir l’amoureux qu’elle préférait à l’amant.

Nous avons travaillé ensemble, dans une bibliothèque, alors qu’elle étudiait avec des filles plus jeunes qui se payaient des bottes Hunter déparaillées et que moi je portais des soutifs rembourrés. Je la jalousais de trouver des vestes dans la rue, abandonnées pour les vidanges, et j’ai pensé à elle la semaine dernière quand j’ai trouvé deux fruits du dragon dans une boite de carton derrière la fruiterie Citron que c’est bon.

Personne n’écoute des téléréalités avec moi depuis qu’elle ne vient plus se faire un masque d’argile sur le visage, chez moi, devant le pug de Tori Spelling ou les shorts en jeans déchiquetés de Nicole Richie.

Delphine ne se soumet à rien

février 16, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Delphine

Si je n’ai peur de rien parfois, c’est grâce à elle.

Delphine. Elle s’appelle Delphine et il y a des années j’étais si fière de lui expliquer les étapes d’application de vernis à ongles. Les minutes à attendre entre la première couche et la deuxième couche.

Je ne lui ai rien appris d’autre, je crois.

Une amie me l’avait présentée. Une amie avec un gros matou, au nom parfait pour un chat, Léon, ça l’insultait beaucoup, quand des parents donnaient ce nom à un enfant. Léon, c’était son chat. Delphine, c’était son amie. Je ne me souviens pas comment elles se sont connues.

Delphine dessine les gens qui ne peuvent pas se faire filmer en cour. Elle boit du cidre de pomme et fait parfois de beaux rêves. Elle dort mal, elle s’endort mal parce qu’elle a une famille de mauvais contes, de contes avec tout plein de trigger warnings, mais elle est forte et elle a une robe avec des cerises dessus et elle fume derrière chez moi, en se cachant, parce que ma fille n’aime pas ça.

Elle écoute beaucoup, Delphine, elle écoute quand je parle d’argent et de femmes toute nue, elle écoute aussi les autres qui n’aiment pas ça, l’argent et les femmes toute nue. Elle ne se choque pas contre ceux qui ne pensent pas comme elle, elle écoute et elle agit, son corps comme une bombe contre ceux qui voudraient qu’elle l’utilise autrement, qu’elle le cache, soumise à ce qu’il ne faut pas dire ou montrer.

Delphine n’est pas soumise.

La semaine dernière, Delphine m’a donné des marguerites. Elle ne savait pas que c’était mes fleurs préférées. Elle m’attendait, avec un sourire de félin, elle m’attendait et elle m’a donné des marguerites, parce que moi aussi, je ne suis plus soumise.

Claudia donne ses cardigans

février 15, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Claudia avion

La première fois que je t’ai vue, c’était pour un pique-nique, mais je ne vous avais pas devinées tout de suite, sous un arbre, à l’ombre. Toi, Valérie et Daniela. Vos enfants. J’avais mangé avec les miens, sur un banc de béton, un banc recouvert d’une nappe de pommes, croquées et pas croquées, une nappe blanche et rouge et de toutes les couleurs du repas et des jus renversés par les enfants.

Tu étais enceinte et Ricardo avait une bicyclette, ou une trotinette, et tous les enfants voulaient l’utiliser.

Cette première fois, quand je t’ai vue, je t’ai saluée, j’ai salué tout le monde. Je ne vous connaissais pas.

J’ai continué à balancer Charlie et Élisa, à les regarder détruire des châteaux de sable, à regarder ton enfant qui courait, à regarder les autres enfants. Je vous trouvais belles, et je devine mal les gens, je ne connais pas les autres, mais toi, je trouvais que tu avais un sourire avenant, des gestes pas compliqués, de l’amour pour ton enfant et celui qui viendrait.

Quand tu es repartie vivre en Italie, tu m’as laissé deux cardigans, immenses. Ils n’avaient pas d’odeur, mais ils étaient doux, et je m’y suis lovée pendant des nuits. Je n’avais pas de draps, j’avais le gris d’un cardigan qui recouvrait mes pieds. J’avais des mouchoirs et des barrettes dans une poche. Je me lovais dans ton cardigan, réconfortée, réconfortée de deviner mal les gens, mais de les connaître, finalement, toujours un peu, grâce à des pique-niques sous des arbres, du pain partagé, fait par toi ou ton mari, et du tissu.

Je t’imagine souvent avec tes enfants, avec un sourire qui comprend tout, un sourire parfois fatigué, mais jamais exaspéré, je t’imagine sur la plage, ou dans un appartement à Milan, j’imagine aussi une tapisserie dans ton appartement, je ne sais pas pourquoi, et je te vois en robe avec tes enfants qui se cachent dedans, je ne me souviens pas si je t’ai déjà vu en robe mais je t’imagine comme ça, avec tes garçons qui t’aiment si fort, et je vois tes cheveux toujours plus courts et plus libres.

Le matin, je prends des soupes miso, parce que Valérie m’a dit que tu en buvais comme petit déjeuner, et je pense à toi et je ne trouve pas ça déplacée, de goûter au tofu ou aux épinards alors que mes enfants savourent encore des chocolatines.

J’espère qu’en Italie, il y a finalement des parcs avec d’autres mamans et d’autres enfants qui partagent des seaux et des pelles et des tomates cerises. J’espère qu’il y a d’autres mamans qui balancent leurs enfants à côté de toi et que vous pouvez rire, et décrire la forme des îles créées en Arabie Saoudite, et vous prendre dans les bras l’une de l’autre, parce qu’il est impossible d’être seule, ou incomprise, cardigan contre cardigan.

Audrey-Anne va bien

février 12, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Audrey-Anne photo

C’est une jeune fille de douze ans.

Elle a des yeux fatigués. Des cheveux comme j’aurais voulu en avoir et comme je n’aurai jamais. Des cheveux à la Gisele Bundchen, mais je ne crois pas qu’elle sache qui est Gisele Bundchen.

Si je la questionne, elle va bien.

Sauf qu’elle ne pleure jamais. Je la connais depuis dix ans et elle ne pleure pas.

Elle est grande, plus grande que ma mère. Elle porte des jeans et des chemises à carreaux qu’elle achète chez Ardène, avec sa grande sœur ou son père. Parfois je critique la longueur des manches de ses chandails. Je ne devrais pas critiquer. Quand je critique, je pense à sa mère, mais je ne devrais pas penser à sa mère.

Ses ongles sont vernis. Elle me laisse vernir ses ongles et nous ne sommes jamais aussi proches que lorsque je lui vernis les ongles. Quand elle était petite, elle aimait avoir tous les ongles d’une couleur différente. Maintenant, ça dépend.

Ce weekend, alors qu’elle était déguisée en Blanche-Neige, je l’ai prise en photo. Elle était avec ma fille et mon fils, à faire un casse-tête. Sur la photo, elle a à nouveau huit ans. Elle a les joues rondes de ses huit ans, un visage concentré, amusé. Elle a mon fils, grognon, tout contre elle.

Peut-être parce qu’elle ne pleure pas, peut-être parce que je ne connaissais pas d’autre enfant avant elle, j’ai toujours eu de la difficulté à lui donner un âge. Mais sur la photo, elle avait huit ans et j’étais heureuse, de la retrouver comme ça, importante, au milieu de mes enfants, importante et enfant, avec ses longues jambes, ses pieds chaussant mes bottes, encore un peu enfant, elle qui ne m’a jamais aussi peu sembler l’être, quand je la compare avec ceux que je connais, maintenant.

Je me souviens d’elle, à cinq heures du matin, un jour après notre retour de vacances en Bretagne. Elle était éveillée et moi aussi. Nous étions allées sur la piste cyclable du Canal Lachine, avec sa poussette. C’était en juillet ou début août. Il était cinq heures du matin et je courais et je voulais l’entendre rire.

Nous avions achetés des fleurs pour son père. Et une chocolatine pour elle.

Je crois qu’elle avait ri quand je courais.

Les dernières pointes de Sylvie

février 12, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

ballerine

« J’aimerais offrir ma dernière paire de pointes à Élisa. Je voulais savoir ce que tu en pensais. Elles sont vieilles, mais je suis certaine qu’elle pourra s’amuser avec, lorsqu’elle se déguise. »

Le cœur serré, j’ai accepté.

Sylvie se séparait de ce qu’elle n’amenait pas dans son nouveau logement. Après vingt ans près de la rue Masson, elle se retrouvait à déménager au mois de février, plus près du McDonald’s de la station Langelier que de La Chocolaterie du Vieux-Rosemont.

Elle m’a écrit ensuite, pour me dire qu’elle avait accroché, à ma boite aux lettres, un sac, pour ma fille. Dans le sac, il y avait sa paire de souliers de ballet. Et une petite carte. Elle s’excusait, Richard a déjà mis dans des boites mes emballages cadeaux et les sacs et les cartes, ne regarde pas le sac, et les pointes sont vieilles, elles sont abîmées.

Les pointes de chez Rossetti étaient magnifiques.

J’ai expliqué à Sylvie que je ne pouvais pas les donner à ma fille.

Ce serait les premiers chaussons de ma fille, les derniers de Sylvie, qui ne danse plus sur une scène, mais le vendredi, dans le salon d’une amie, oui, parfois le vendredi, sur les chansons de Stromäe, pour oublier la fatigue de son corps, les os qui font mal, les mains qui ne s’ouvrent et se ferment plus aussi facilement, les jambes si minces, si délicates, qui la font souffrir, et qu’elle oublie, quand elle marche dans le quartier, souriante, la tête blonde, ou qu’elle danse, dans le salon de Brigitte.

Sylvie est allée nous rejoindre à la maison. Elle a défait son manteau, l’a mis contre la chaise de ma fille. Je lui ai proposé un thé à la citronnelle. Je lui ai redonné le sac qu’elle avait laissé à ma porte.

Elle a offert les souliers à ma fille. Le papier de soie sur le plancher, Élisa a pris les pointes. Elle les a mises. Je ne voulais pas lui demander de danser. Je ne voulais pas provoquer quoi que ce soit. Je voulais la voir avec les pointes. Je voulais voir Sylvie la voir avec les pointes.

Élisa s’est tout de suite mise sur la pointe des pieds. Sylvie l’a applaudie.

« Tu pourras lui mettre de vieux bas, au fond des chaussons. »

Ni mes enfants, ni Sylvie ne touchaient aux croustilles de banane plantain ou aux raisins enrobés de yogourt.

Ma fille s’est faite un tutu de papier de soie bleu. Sylvie me parlait des auditions, du sang sur ses pieds, des chevilles des autres ballerines.

Elle m’a fait promettre que nous nous reverrions, même si elle n’était plus en face, même si le matin, nous ne cognerions plus à la fenêtre, pour la saluer, nous en pyjama, elle, souriante, la tête blonde, se dirigeant vers son bureau sur la rue St-Hubert.

Il y aurait d’autres thés et des applaudissements et Sylvie qui ne dit jamais qu’elle est malade, mais que son corps l’empêche parfois de téléphoner ou de danser sur une chanson de Stromäe.

Valérie aime trop Elton John

février 9, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Valérie best friends t-shirt

Quand j’avais treize ans, je pensais que Valérie me détestait.

Nous mangions ensemble, je la regardais jouer au ping pong à la récréation et comparer son t-shirt Jacob à celui des autres filles de treize ans, mais je pensais qu’elle me détestait.

J’ai pleuré devant mon casier. Pleurer quand j’avais treize ans, c’était dramatique, c’était me retrouver dans une scène de film caricaturale. Parfois je trouve que mon visage est beau quand je pleure. À treize ans, c’était pas beau.

Et c’était pas vrai, finalement, qu’elle me détestait.

Nous sommes devenues amies. Je n’ai jamais compris pourquoi elle aimait tant que ça Elton John, mais j’étais vraiment heureuse d’avoir une amie qui avait le cd de Pink. Elle, je ne sais pas ce qu’elle n’a jamais compris de moi. Mes coups de pieds au parc. Mon idée que j’étais une vraie de vraie sorcière. Mon incapacité à bien ranger mes verres de contact dans l’étui prévu pour ça.

Certaines personnes sont toujours là. Valérie est toujours là. Avec des éclairs au chocolat homemade ou des drinks bleus trop forts. Même dans un autre pays, comme maintenant. Elle dit qu’elle ferait tout pour moi, « sauf de me promener à poils sur le toit d’un édifice en plein hiver montréalais en faisant la poule, ça je pourrais pas. »

Je lui dois un cœur, trois vies, mille nougats aux jujubes du Sucre Bleu. Je ne sais pas si j’arriverai à lui donner autant qu’elle m’a donné.

Quand elle est triste, je peux juste la prendre dans mes bras et ne pas lui répéter qu’elle est belle, parce qu’elle ne le croit pas toujours, et ce n’est pas important, se faire répéter tu es tellement belle, quand toi, tu ne le crois pas, et que c’est la Saint-Jean-Baptiste, à Repentigny, dans un champ, elle pleurait et je ne savais pas si elle avait bu ou non, je ne le sais pas encore, est-ce que tu avais bu, Valérie, elle avait marché toute seule, puis elle était revenue, et elle était tombée dans nos bras et elle pleurait et toutes ses amies et moi nous ne pouvions que lui dire qu’elle était la plus belle, mais elle le refusait.

La prochaine fois que tu pleures, je te dirai juste je t’aime ou I wuv you, comme sur les t-shirts de la Place Versailles, avec des chiots mignons et des anges.

Janet n’est pas seule

février 9, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Janet

Janet, elle ne me parle pas anglais, mais c’est une anglo qui parle français avec une voix à la Édith Piaf. Elle habite au bout de ma rue, je l’imagine habiter au bout de ma rue, mais je ne la vois jamais chez elle. Je la vois sur un banc près du Jean-Coutu ou les pharmaciennes lui remettent ses médicaments pour le sommeil et pour la douleur, ses médicaments pour supporter ses deux cancers. Je la vois sur la rue Masson, à marcher lentement, avec une cigarette et des sacs en plastique plein de conserves pour chats.

Ses chats n’aiment pas la nourriture à rabais. Ils boudent, quand ils détectent une contre-façon, un détour au Dollorama plutôt qu’à l’animalerie du coin.

Janet aime beaucoup ses chats. Quand elle passe quelques jours à l’hopital, elle s’inquiète pour eux. Elle ne sait pas encore qui les prendra, quand elle sera morte.

Chez Janet, il y a beaucoup d’appartements et il y a un concierge qu’elle n’aime pas, il ne change pas la serrure de sa porte, elle ne ferme pas bien depuis juillet. Elle met des meubles devant sa porte, le soir, sinon elle ne s’endort pas.

L’autre jour, ce n’est pas moi qui l’ai vue, c’est ma fille. Elle a crié et je me suis retournée. Janet était toute petite et chagrine sur un banc, ses fesses sur un banc froid. Je n’étais pas encore penchée vers elle, pour l’embrasser, qu’elle m’a annoncé qu’elle allait mourir dans six mois.

« Mon médecin m’a donné le nom d’un psychiatre, mais je ne peux pas. Je le crois pas et je veux pas le croire. J’ai le droit, han, de faire comme si j’allais pas mourir dans six mois ? J’ai 85 ans, tu es jeune toi, tes petits sont jeunes aussi, j’ai 85 ans mais je veux pas qu’on me dise que je vais mourir dans six mois. Janet va pas bien. »

Mes enfants s’impatientaient. Janet et moi parlions encore, de ses chats, de ses poumons. J’ai salué une voisine qui se baladait avec une bouteille de jus d’orange. J’ai embrassé Janet et elle m’a dit : « Je fais semblant, je ne suis pas folle ou peut-être que je suis folle. » Elle crachottait en riant mais même les bruits de sa gorge abimée avaient de quoi de charmant et de faussement gai. « Je me suis inventée une amie. Elle s’appelle Thérèse. Je l’accueille chez moi, je lui dis qu’elle devrait laisser son mari parce qu’elle ne l’aime pas. Je lui dis qu’elle est toujours chez moi. Je la juge pas, Thérèse, mais elle est toujours chez moi avec ses problèmes. Elle devrait le quitter. Je suis folle, je sais. Mais je suis pas seule. C’est un secret, mais je suis pas seule. »

Dénoncer larmes, agressions et humiliations

février 5, 2016

valium

collage par Valium

Lundi, Tanya St-Jean, une des créatrices du site Je Suis Indestructible, est allée parler du mouvement #AgressionNonDénoncée, un mouvement déclenché suite aux révélations sur Jian Ghomeshi. La première journée du procès de Jian Ghomeshi aurait été un bon moment pour revenir sur les avancées du mouvement, sur ce que ça signifie, dénoncer ou ne pas dénoncer.

Son entrevue a été diffusée sur les ondes de RDI et Radio-Canada.

Elle tenait à parler de la difficulté à porter plainte. Elle tenait à parler de la culture du viol. Elle tenait à parler de la peur.

Elle a parlé de tout ça. Mais ses observations ont été coupées. RDI et Radio-Canada ont gardé ses larmes.

Les victimes, dans les médias de masse, ne seraient intéressantes que si elles pleurent, si elles relatent leurs agressions, leurs histoires d’horreur ? Leurs propos brillants, leur questionnement par rapport à ce qui est banalisé, oublié, caché, tchop tchop, coupés ?

Pas de sensibilisation si on réussit à trouver une tournure sensationnaliste à tout témoignage ?

Valium 3

collage par Valium

Suite à la diffusion de son entrevue, Tanya St-Jean a tenu à exprimer son malaise et sa colère face à ce que la télévision a projeté d’elle et de ses idées. Sur sa page Facebook personnelle, voici ce qu’elle a écrit :

« j’aimerais rectifier un point – qui vaut de l’or pour moi – quant au reportage diffusé hier soir sur les ondes de RDI et Radio-Canada. (car je suis un peu fâchée, oui.)

ceuzes qui me connaissent par coeur, savent que je ne parle JA-MAIS de mes agressions.

pourquoi ? car ce n’est pas de moi dont il est question, mais de nous tous, survivantEs de violence à caractère sexuel. et c’est tout simple à expliquer : quand on demande à des membres de l’équipe de Je suis Indestructible d’être en entrevue afin de discuter d’actualités reliées au sujet de l’agression sexuelle, l’essentiel c’est de parler de notre mission et de nos observations.

mais c’est avant tout de donner la parole aux autres, de créer un espace sécuritaire – oui, ceci sonne encore utopique – pour les survivantEs d’agression sexuelle.

l’entrevue d’hier me démontre sensible, brisée… on a prit mes larmes, on me les a volées pour faire couler du sensationnalisme spectacle à la télé nationale.

j’ai discuté avec la journaliste un bon 15 minutes avant d’en arriver à ses fameuses questions « Vous avez été agressé vous aussi ? Dénonceriez-vous vos agresseurEs? Vous aviez quel âge? »

menstruée, émotive et nerveuse, j’ai été pris de court.

mais pendant le 15 minutes de conversation qui précède, j’ai discuté énormément du manque de confiance envers le système judiciaire qui s’observe dans nos témoignages reçus depuis plus de deux ans. j’ai tenté de l’expliquer, en parlant de culture du viol qui se voit banalisée quotidiennement dans nos médias, dans notre environnement social, notre famille, nos amiEs, au travail, à l’école. j’ai parlé de ce maire resté en poste sur la Côte-Nord, de ce juge de la cour fédérale, de ce policier, des campus universitaires… j’ai parlé du doute, de la peur de ne pas être cruE et comprisE lorsqu’on dévoile son histoire d’agression.

j’ai aussi énoncé des statistiques, sur la mouvance des mots-clic ‪#‎BeenRapedNeverReported / ‪#‎AgressionNonDénoncée et l’impact que celle-ci a eu sur notre implication.

à la question « Pourquoi peu de victimes dénoncent leur agresseurs?”, j’ai tenu à maintes reprises à souligner que c’est un processus qui peut s’avérer aussi violent que l’agression elle-même et qu’encore plusieurs lacunes existent quant à l’accompagnement des victimes dans ce cheminement.

j’ai parlé de ressac anti-féministe, de ces manifestions violentes qui s’acharnent à chaque prise de parole.

j’ai aussi expliqué la mission de Je Suis Indestructible et l’impact positif que ce projet a eu dans la vie de plusieurs personnes, de cette grande famille de gens qui ne se connaissent pas mais qui portent le même combat.

bref, j’ai fait beaucoup plus que verser quelques larmes égocentriques, coincée dans un coin par une journaliste.

une leçon qui m’apprend – encore – que trop souvent, les médias prennent bien ce qu’ils veulent dans une entrevue. et ce, même s’ils nous convoquent afin de parler de tout sauf ce qui transparaît à la tévé.

je tiens par exemple à vous dire MERCI. merci pour vos doux mots pis l’amour dans mon inbox depuis hier, toute la nuit, tout le matin. j’ai aussi parlé que JSI m’avait outillé à devenir cette jeune femme forte… et, c’est chacun de vous, ça.

des fois, comme lala, je trouve que « Ensemble, brisons les chaînes du silence! » prend tout son sens.

vous êtes magnifiques, et tout aussi inspirantEs et fortEs que moi, comme vous me le dites. ne l’oubliez jamais ok?

#‎lamadameestfachéecrissecul

‪#‎lamadamequivousaime »

résilience par valium

collage par Valium

Quelques jours après, Tanya St-Jean a remarqué que même les organismes contactés par les médias populaires ne recevaient que des questions sans relief, tel que avez-vous vu une augmentation de fréquentations de vos centres d’aide ?

L’important ce n’est pas l’augmentation. C’est froid, comme question, c’est un chiffre, un pourcentage, ça révèle ce que ça révèle, sans rien approfondir. Tanya St-Jean se demande pourquoi n’est-il pas possible de parler franchement de culture du viol, de prévention, de sensibilisation.

Roxanne Guérin, aussi une des instigatrices de Je Suis Indestructible, a réussi à en discuter avec l’équipe de Vice. Elle a également fait remarquer à quel point il peut être difficile pour les victimes d’agressions sexuelles d’obtenir justice.

Récemment, une amie, victime, tout comme quatre autres femmes, d’un homme les ayant agressées violemment, m’a confié son désarroi et sa colère devant la sentence que son agresseur avait finalement reçue. Ce dernier avait plaidé coupable et son avocat avait plaidé que le viol était dans les mœurs de son pays d’origine, le Congo. Une telle banalisation a surpris mon amie.

Elle s’est sentie d’autant plus impuissante quand elle a su qu’elle n’avait aucun rôle sauf celui de la victime. La Couronne ayant conclu une entente avec la défense, seul le chef d’agression sexuelle était conservé, puisque l’accusé avait accepté de plaider coupable. Laisser de côté les autres chefs, c’était plus que frustrant, c’était violent, pour mon amie. Pour elle, c’était comme si sa séquestration et les autres abus qu’elle avait vécus étaient à oublier, impossibles à croire, pas importants pour personne sauf pour elle.

Valium 2

collage par Valium

Rien n’est facile à oublier. Rien n’est simple dans une agression, ni dans ce qui en suit. Et si les médias n’en parlent pas, et si les victimes se sentent désoeuvrées, humiliées par un système qui se doit de les protéger, qu’est-ce qu’il faut en penser ? Comment réagir face à ceux qui ne croient pas les femmes qui osent dénoncer ? Comment réagir face à un agresseur reconnu qui garde sa position de maire ? Ce n’est pas des larmes qu’il faut montrer. Ce sont des mots qu’il faut entendre. Et répéter.

J’aime lire quand je suis déjà toute mouillée

février 5, 2016

travaux manuels 2

Dans mon bain, je lis tout, sauf les livres qu’on me prête parce que j’aurais trop peur de les échapper et de devoir repasser chaque page avant de les redonner.

Cette semaine, mon compagnon de mal de tête (mes enfants imitent dix heures pas jour des lions qui se font dévorer par d’autres lions) et de mouille est Travaux manuels, un recueil de nouvelles érotiques dirigé par Stéphane Dompierre.

Des nouvelles qui se lisent pour le plaisir, pas juste pour se crosser, originales et touchantes parfois, really.

Sarah-Maude Beauchesne parle de belles filles dans un maillot de bain un peu trop serré qui squeeze la bédaine à cause des pintes de fin de semaine. Simon Boulerice, d’un déhanchement gentiment pornographique. Mathieu Handfield, d’un homme-lézard en train de sucer son propre pénis. Maxime-Olivier Moutier, d’une fille qui accepte de se faire tatouer le clitoris pour un mec sensible au fait que je parle beaucoup, que je ne boude pas et que je me fasse des chignons.

travaux manuels 1

Gosh, je ne me ferai jamais tatouer pour un mec, moi, sauf si c’est pour faire semblant d’être mariée. Je suis une cochonne avec des rêves très conformistes, même en pleine lecture de nouvelles érotiques.

Les fugueuses n’ont pas besoin de lois, mais d’amour

février 5, 2016

tristesse et prostitution 2

Au Québec, tout le monde s’alarme du sort de jeunes fugueuses qui se retrouvent dans des gangs de rue pour se prostituer.

C’est dramatique. Mais qu’est-ce qu’on leur propose, à ces jeunes fugueuses ? D’être enfermées chez leurs parents. D’écouter tout ce qui peut leur arriver de terrifiant dans l’industrie du sexe. De les gaver d’histoires d’horreur. Des nouvelles lois.

Ce ne sont pas des lois qui changeront ce que ces jeunes filles vivent. Elles veulent de l’amour (si ce n’est pas celui des parents, ce sera celui proposés par les clients), de l’attention (pas celle des médias).

Certains pensent que ces filles sont assoiffées par l’argent, par le bling bling, par des limousines et du champagne donne plus de bonheur que la barbe-à-papa qu’elles avalaient à dix ans.

L’une de ces fugueuses m’a plutôt confié que l’argent, elle s’en fouettait. Ce qu’elle voulait, c’était se sentir acceptée : « Érika explique que son transport et ses joints étaient fournis, de toute façon. Plus important encore pour elle, «la terre arrêtait de tourner quand un homme bandait pour moi, me disait que j’étais belle et fine.» »

Écoutons ces jeunes filles. Ne cédons pas à la panique, à l’envie de les cacher et de cracher sur leurs amis. Écoutons-les.

Aimons-les comme elles veulent être aimées : comme elles sont, avec leur détresse, leurs rêves, leurs questionnements, leur désir d’autonomie mais aussi leur désir d’être protégées. D’avoir quatorze ans. D’avoir quinze ans. D’avoir seize ans. Et d’être elles-mêmes, de se découvrir.

Les gangs de rue sont un repère pour elles, ce ne sont pas juste un danger, c’est un repère, quand elles se refusent à ce qu’elles connaissent déjà : la misère de n’être pas aimées pour ce qu’elles sont et peuvent apprendre à devenir.

Quatorze ans, ce n’est peut-être pas l’âge où on devrait goûter à l’amour en suçant. Et pourtant, qu’est-ce qu’elles peuvent souhaiter, si elles ne sentent qu’elles ne sont pas voulues ailleurs qu’à genoux devant un client ?

tristesse et prostitution

À lire, le témoignage sur Canoë d’Érika, qui s’est prostitué pendant trois ans pour un gang de rue: http://fr.canoe.ca/hommes/chroniques/melodienelson/archives/2016/02/20160204-150732.html