Archive for février 2016

Marilyne ne vend pas de la limonade

février 26, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Marilyne

Avant elle habitait à moins de deux minutes de chez moi.

Nous aurions pu nous souffler des baisers avant de dormir. Nous aurions pu boire un café ensemble tous les jours. Nous aurions pu promener son chien dans les ruelles de Rosemont, nous aurions pu projeter de faire des murales ou de vendre de la limonade, nous aurions pu courir avec des sucettes plein les poches, convaincre mes enfants que nous étions des sorcières wicca, commencer une fanfare pour terminer tout ça par une partie de Pac-Man à la Succursale.

Je regrette, et je regrette si peu de choses, mais je regrette de ne pas avoir dessiné un cœur sur sa main, de ne pas lui avoir emprunté son fer à friser, et Marilyne, elle ne m’en veut pas, mais je suis sûre qu’elle aussi, elle nous aurait imaginé offrir de la limonade au gérant du Gariépy.

Elle a déménagé, un cœur brisé, éclaté contre les murs de son appartement, en petits morceaux, il l’avait frappée, son amoureux l’avait frappée et elle en avait les marques autour du cou et ailleurs.

Quand je l’ai revue, c’était à mon anniversaire. Elle était à côté de moi, à table, je venais de coucher les enfants, ou j’en avais un sur les genoux. Marilyne a parlé de son ventre vide. Elle était certaine qu’il resterait vide, et elle ne l’avait pas voulu ainsi, elle l’avait imaginé avec des batailles entre jumeaux, occupé, elle avait imaginée son ventre plein, ou au moins sa maison.

Elle aurait eu une maison et six enfants. Des enfants qu’elle aurait portés ou des enfants qui ont besoin d’une famille d’accueil, les enfants ont besoin d’une Marilyne, d’une femme-fée, capable de raconter des histoires de rue très sombre, et des histoires lumineuses de glace à la noix de coco.

Mais pas de girafe, elle n’aime pas les girafes.

À mon anniversaire, elle parlait qu’elle savait, qu’il resterait vide, son ventre, et qu’elle apprenait à l’accepter. Elle n’avait pas l’air triste. Elle avait ving-cinq ans, je crois, et elle n’était pas triste, elle avait l’air étrangement certaine de tout ça, que ça ne se reproduirait pas, de trouver un homme qu’elle aimerait et qui l’aimerait et qui se laisserait aimer, aimer assez pour avoir les mêmes rêves et les mêmes joies qu’elle.

Quelques années ont passé, Marilyne a toujours un tatouage qui n’est pas terminé.

Elle a aussi une myrtille dans son ventre.

La femme au pantalon de corduroy

février 25, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

pantalon rouge

Le 22 février, j’allais chercher ma fille à son école, accompagnée par mon fils. Il tenait une peluche chèvre dans une main, nue, ses mitaines dans le sac que j’avais sur le dos.

Une femme anonyme marchait devant nous, sur un trottoir partiellement enneigé. Un homme bloquait sa trajectoire, il avait stationné son véhicule sur le trottoir. Une boite dans les bras, il lui a dit quelque chose, en souriant, apaisant et contrit.

J’ai deviné qu’il s’excusait et qu’elle n’y voyait rien de mal, à marcher dans la rue, à sortir de sa ligne droite. Elle lui a probablement souri. Il y a des femmes comme ça, qui ne s’indigneront pas pour un véhicule sur un trottoir, cette femme-là n’avait pas une démarche à s’indigner pour une broutille, elle avait une démarche de papillon.

Mon fils, lui, a trouvé que le véhicule n’avait pas sa place sur le trottoir et il a fait semblant de cracher dessus : « Méchante vroum ! vroum ! »

Nous avons dépassé la passante. Je ne me suis pas retourné pour observer son visage. Mon fils a ouvert la porte de l’école. Puis la passante est arrivée à notre hauteur. Elle s’est exclamé qu’elle portait exactement le même pantalon que mon fils : « Des pantalons rouges ! En corduroy ! Comme lui. Ou comme elle. Comme lui, elle ? »

J’ai vu son visage, ses yeux gais ce jour-là. J’ai approuvé, surprise parce que je ne connaissais plus personne sauf mon fils et mon amoureux qui portaient un pantalon en corduroy.

– Ce sont ses pantalons de pompier.

La femme a renchéri : « Je porte ces pantalons juste quand je suis heureuse. Je les porte à Noël, à la Saint-Valentin, et maintenant, parfois, comme aujourd’hui. »

Mon fils l’écoutait, et moi j’étais heureuse d’avoir rencontré cette femme, une femme qui portait des pantalons en corduroy, alors que plus personne n’en porte, sauf mon fils, mon amoureux, et cette femme chaleureuse, porte-bonheur.

Anouck mange des tartes choco-poire

février 23, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

anouck

Anouck marche devant moi, dans son manteau bleu. Ses cheveux auburn sont attachés, mais quelques bouclettes s’échappent de sa couette. Nous nous arrêtons devant un appartement dont la fenêtre, énorme, nous laisse voir des centaines de livres empilés l’un sur l’autre, des livres qui semblent sortir d’un film d’Indiana Jones, à l’allure de parchemins secrets, poussiéreux.

Je prends en photo Anouck devant la fenêtre, me pointant une statuette de la Vierge Marie. Sur la photo, Anouck a son sourire de gamine. Anouck a un sourire de gamine qui vient facilement, qui n’est jamais forcé. Elle peut parler de tout ce qui est resté chez ses ex, et qu’elle ne retrouvera pas, et garder le sourire. Elle peut parler des morceaux de ouate que les mannequins mangeaient quand elle marchait pour Jean-Paul Gaultier à Paris et garder le sourire.

Anouck, elle, ne mangeait pas de morceaux de ouate.

Nous nous interrompons sans cesse, Anouck et moi, parce que nous parlons toujours de l’une ou de l’autre, de ce qui nous touche, des maux de dos de son père, de l’enfant que j’ai dans mon ventre, quand nous marchons, ensemble, elle dans son manteau bleu, moi dans un manteau rouge que je ne tente plus de boutonner.

Nous partageons des nachos et buvons du thé vert au Laïka, puis nous nous rendons dans une boutique kistch. J’achète un Playboy vintage et je crois qu’elle achète un jeu de cartes de femmes toutes nues pour son frère, ou elle pense l’acheter, puis se ravise, certaine qu’il serait gêné. Nous essayons des chapeaux et des boucles d’oreilles à pinces.

Anouck, c’est une amoureuse, et tout l’anime, tout joue à l’animer, les chapeaux, les bijoux, les foulards à motifs de flamands roses, les jeans sans poche sur les fesses, ou c’est elle, c’est elle qui réussit à rendre tout plus vivant.

Elle prend le vrai à bout de bras, comme des étoiles à distribuer dans la rue, pour tout le monde, elle veut embrasser ses amies, danser, faire grincer le lit, tant pis pour les murs trop minces, elle veut être là, et je suis là, je veux être là pour elle, pour ses secrets, ses peurs et ses sourires de gamine.

À son mariage, elle porte une robe blanche, un ventre rond et elle mange une pointe de tarte choco-poire et maintenant, toutes les tartes choco-poire goûtent l’amour ou les célébrations, elle est comme ça, Anouck, magique.

Geneviève n’est plus une fille populaire

février 18, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Geneviève B

Elle mentait sur tout. Elle disait qu’il y avait un cerisier et un poirier chez elle. Elle disait qu’elle avait déjà participé au Village de Nathalie. Elle disait qu’elle était abonnée au 7 jours. Elle disait qu’elle vendait de la drogue et qu’elle la cachait sous les calorifères du Collège St-Jean Vianney.

Geneviève mentait pour les autres aussi. Quand je disais que je ne fumais pas, elle m’interrompait et expliquait à une copine plus dégourdie que je fumais mais que je ne pouvais pas le faire près de mes frères, pour ne pas qu’ils révèlent mes actes de petite rebelle de quatorze ans à mes parents. Elle racontait aux garçons que je créais des colliers et leur faisais admirer ceux que je portais. Elle cessait de me vanter dès qu’ils montraient leur approbation.

J’étais en jeans à pattes d’éléphant, avec un t-shirt Calvin Klein et un collier de perles multicolores. Je la regardais puis je regardais le garcon qu’elle venait de me présenter et je ne protestais pas. Je mentais aussi. Je voulais tous ses amis. Je voulais rester son amie.

Je voulais que nous continuions à nous faire bronzer devant le garage de ses parents, à enregistrer les vidéoclips de Moist, à vendre des hot-dog pendant des tournois de baseball, à parcourir les allées du Dollorama des Galeries Rive Nord, à prendre des cours de sauvetage ensemble. Elle serait Pamela Anderson et je serais la fille plate qui doit toujours se moucher avant d’aller sauver une mouette dans une piscine hors terre.

Elle disait aussi que le jus d’orange avec du tylénol écrasé et de la vodka, c’était parfait pour des soirées au parc des Moissons.

Puis elle a perdu ses amis. Elle a cessé de manger à seize ans. Elle empruntait les fiches Coup de Pouce de sa mère et elle me concoctait des collations et des repas. Du pain pita grillé avec des concombres et mille herbes. Un gâteau trois étages. Elle me regardait manger. Elle me parlait d’un petit ami que je ne connaissais pas et qui avait retiré son chandail dans le salon de ses parents.

Geneviève ne mentait pas toujours.

Elle ne m’a rien dit de plus sur son petit ami que je ne connaissais pas. Il n’était plus son petit ami. Je n’ai jamais demandé si d’autres garçons avaient retiré son chandail dans le salon de ses parents. Elle n’avait plus bonnets C et elle était seule avec sa jupe de collégienne et ses chemisiers trop larges, quand elle n’était pas à faire des sauts de biche dans sa cuisine.

Elle est restée petite. Elle a trois enfants, une pâtisserie. Pas de compte Facebook. J’espère qu’elle est heureuse.

Geneviève achète des philtres d’amour

février 16, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Geneviève

Avec ma veste boutonnée en jalouse et la morve séchée à mon nez, j’épiais en compagnie de ma cousine les amoureux qui s’embrassaient devant la maison de vacances de mes grands-parents.

Ma cousine, je dormais avec elle, dans le même lit qu’elle, parce qu’aucune de nous ne voulait se coucher en haut dans son lit superposé, sauf si c’était pour lire L’Herbe bleue, des Seventeen ou des Mademoiselle, des magazines pour jeunes filles, conservés par sa mère, pendant des années. Je prenais mon bain avec elle, je tuais accidentellement des papillons avec elle et nous les enterrions, sous les feuilles mortes de l’automne, dans une forêt proche d’une maison brûlée par le Temple Solaire.

Geneviève était une Boucle d’or frondeuse, amoureuse de Charlie Chaplin, et nous étions surtout les filles de nos mères, fières, sages juste pour dessiner des chiens, prêtes à se couvrir de parfum de designer mais prêtes aussi à ne pas se raser, parce que ma cousine, elle trouvait que ça faisait gravement Shirley, de se raser.

Shirley, ça vient de son séjour en Colombie-Britannique, à Prince George.

Nous étions aussi très fortes pour inventer des chansons scatologiques la veille d’un jour de l’An, parfaites pour embêter la famille attentive à un Bye Bye des années 90. Nous nous partagions le monde, chacune cent pays, et nous étions les reines de plein de royaumes, des royaumes imaginaires, où Barbie achetait des boites de condoms et où Skipper se faisait avorter avant un bal style Carrie de Stephen King.

Elle se souvient de mes chandails de chat et elle garde comme une menace les pires photos de moi. Je me souviens de ce qu’elle souhaitait pour Noël : des poupées de collection ou de l’argent à donner à un refuge pour femmes battues. Je me souviens aussi du chevreuil qu’elle a commandé au restaurant Le Petit Poucet, et de ses amis qui nous aspergeaient d’eau.

Nous n’étions pas habillées en blanc et j’avais une grosse culotte, mais c’était sexy quand même. Après, elle était montée à la salle de bain et s’était enfermé sous la douche avec un de ses amis. Nous avions aussi bu une bouteille de philtre d’amour, quatre verres de potions magiques pour quatre personnes qui ne se ressemblent plus du tout maintenant.

Il y avait un bonzaï géant dans la maison de ses parents. Et un chien qui s’appelait Lupin.

La loyauté d’Amélie

février 16, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Amélie

Amélie adopte les gens. Elle adopte un Chinois qui ne parle que son dialecte et qui veut visiter le Canada. Elle adopte un petit ami qui aime les couteaux de cuisine et qui disparait avec après. Elle adopte des copines et leur fait connaître la glace aux fraises du Marché Jean-Talon, sa salle de bain et sa porte qui ferme mal, le hula hoop et le pina colada dans un thermos en hiver.

C’est une aristocrate féroce et loyale, collectionnant les annonces d’enfants à donner dans les journaux anglophones et tout ce qui touche ses amis, comme la critique du premier album d’un chanteur qui aimait se coucher en cuillère contre elle.

Elle amasse des chaussettes pour en faire un boa constricteur à donner en cadeau d’anniversaire. Elle fête la St-Valentin le 13 février, ou le 15 février, dans une cuisine qui n’est pas la sienne, à faire des soupes chaudes avec des épices dont je ne connais pas le nom, pour une clique charmée, qui l’écoute parler des maisons de sa belle-mère en Alberta.

Elle envoie des photos d’elle nue dans un bain, avec une expression sur le visage qui ressemble plus à celle d’Amy Sedaris qu’à celle d’une fille posant pour Playboy, elle envoie des photos comme ça pour faire oublier tout ce qui est triste quand elle n’est pas là pour fouetter les ennuis.

Et elle refuse de parler à l’amant d’une copine, pas résolue du tout à l’idée de ne pas revoir l’amoureux qu’elle préférait à l’amant.

Nous avons travaillé ensemble, dans une bibliothèque, alors qu’elle étudiait avec des filles plus jeunes qui se payaient des bottes Hunter déparaillées et que moi je portais des soutifs rembourrés. Je la jalousais de trouver des vestes dans la rue, abandonnées pour les vidanges, et j’ai pensé à elle la semaine dernière quand j’ai trouvé deux fruits du dragon dans une boite de carton derrière la fruiterie Citron que c’est bon.

Personne n’écoute des téléréalités avec moi depuis qu’elle ne vient plus se faire un masque d’argile sur le visage, chez moi, devant le pug de Tori Spelling ou les shorts en jeans déchiquetés de Nicole Richie.

Delphine ne se soumet à rien

février 16, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Delphine

Si je n’ai peur de rien parfois, c’est grâce à elle.

Delphine. Elle s’appelle Delphine et il y a des années j’étais si fière de lui expliquer les étapes d’application de vernis à ongles. Les minutes à attendre entre la première couche et la deuxième couche.

Je ne lui ai rien appris d’autre, je crois.

Une amie me l’avait présentée. Une amie avec un gros matou, au nom parfait pour un chat, Léon, ça l’insultait beaucoup, quand des parents donnaient ce nom à un enfant. Léon, c’était son chat. Delphine, c’était son amie. Je ne me souviens pas comment elles se sont connues.

Delphine dessine les gens qui ne peuvent pas se faire filmer en cour. Elle boit du cidre de pomme et fait parfois de beaux rêves. Elle dort mal, elle s’endort mal parce qu’elle a une famille de mauvais contes, de contes avec tout plein de trigger warnings, mais elle est forte et elle a une robe avec des cerises dessus et elle fume derrière chez moi, en se cachant, parce que ma fille n’aime pas ça.

Elle écoute beaucoup, Delphine, elle écoute quand je parle d’argent et de femmes toute nue, elle écoute aussi les autres qui n’aiment pas ça, l’argent et les femmes toute nue. Elle ne se choque pas contre ceux qui ne pensent pas comme elle, elle écoute et elle agit, son corps comme une bombe contre ceux qui voudraient qu’elle l’utilise autrement, qu’elle le cache, soumise à ce qu’il ne faut pas dire ou montrer.

Delphine n’est pas soumise.

La semaine dernière, Delphine m’a donné des marguerites. Elle ne savait pas que c’était mes fleurs préférées. Elle m’attendait, avec un sourire de félin, elle m’attendait et elle m’a donné des marguerites, parce que moi aussi, je ne suis plus soumise.

Claudia donne ses cardigans

février 15, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Claudia avion

La première fois que je t’ai vue, c’était pour un pique-nique, mais je ne vous avais pas devinées tout de suite, sous un arbre, à l’ombre. Toi, Valérie et Daniela. Vos enfants. J’avais mangé avec les miens, sur un banc de béton, un banc recouvert d’une nappe de pommes, croquées et pas croquées, une nappe blanche et rouge et de toutes les couleurs du repas et des jus renversés par les enfants.

Tu étais enceinte et Ricardo avait une bicyclette, ou une trotinette, et tous les enfants voulaient l’utiliser.

Cette première fois, quand je t’ai vue, je t’ai saluée, j’ai salué tout le monde. Je ne vous connaissais pas.

J’ai continué à balancer Charlie et Élisa, à les regarder détruire des châteaux de sable, à regarder ton enfant qui courait, à regarder les autres enfants. Je vous trouvais belles, et je devine mal les gens, je ne connais pas les autres, mais toi, je trouvais que tu avais un sourire avenant, des gestes pas compliqués, de l’amour pour ton enfant et celui qui viendrait.

Quand tu es repartie vivre en Italie, tu m’as laissé deux cardigans, immenses. Ils n’avaient pas d’odeur, mais ils étaient doux, et je m’y suis lovée pendant des nuits. Je n’avais pas de draps, j’avais le gris d’un cardigan qui recouvrait mes pieds. J’avais des mouchoirs et des barrettes dans une poche. Je me lovais dans ton cardigan, réconfortée, réconfortée de deviner mal les gens, mais de les connaître, finalement, toujours un peu, grâce à des pique-niques sous des arbres, du pain partagé, fait par toi ou ton mari, et du tissu.

Je t’imagine souvent avec tes enfants, avec un sourire qui comprend tout, un sourire parfois fatigué, mais jamais exaspéré, je t’imagine sur la plage, ou dans un appartement à Milan, j’imagine aussi une tapisserie dans ton appartement, je ne sais pas pourquoi, et je te vois en robe avec tes enfants qui se cachent dedans, je ne me souviens pas si je t’ai déjà vu en robe mais je t’imagine comme ça, avec tes garçons qui t’aiment si fort, et je vois tes cheveux toujours plus courts et plus libres.

Le matin, je prends des soupes miso, parce que Valérie m’a dit que tu en buvais comme petit déjeuner, et je pense à toi et je ne trouve pas ça déplacée, de goûter au tofu ou aux épinards alors que mes enfants savourent encore des chocolatines.

J’espère qu’en Italie, il y a finalement des parcs avec d’autres mamans et d’autres enfants qui partagent des seaux et des pelles et des tomates cerises. J’espère qu’il y a d’autres mamans qui balancent leurs enfants à côté de toi et que vous pouvez rire, et décrire la forme des îles créées en Arabie Saoudite, et vous prendre dans les bras l’une de l’autre, parce qu’il est impossible d’être seule, ou incomprise, cardigan contre cardigan.

Audrey-Anne va bien

février 12, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Audrey-Anne photo

C’est une jeune fille de douze ans.

Elle a des yeux fatigués. Des cheveux comme j’aurais voulu en avoir et comme je n’aurai jamais. Des cheveux à la Gisele Bundchen, mais je ne crois pas qu’elle sache qui est Gisele Bundchen.

Si je la questionne, elle va bien.

Sauf qu’elle ne pleure jamais. Je la connais depuis dix ans et elle ne pleure pas.

Elle est grande, plus grande que ma mère. Elle porte des jeans et des chemises à carreaux qu’elle achète chez Ardène, avec sa grande sœur ou son père. Parfois je critique la longueur des manches de ses chandails. Je ne devrais pas critiquer. Quand je critique, je pense à sa mère, mais je ne devrais pas penser à sa mère.

Ses ongles sont vernis. Elle me laisse vernir ses ongles et nous ne sommes jamais aussi proches que lorsque je lui vernis les ongles. Quand elle était petite, elle aimait avoir tous les ongles d’une couleur différente. Maintenant, ça dépend.

Ce weekend, alors qu’elle était déguisée en Blanche-Neige, je l’ai prise en photo. Elle était avec ma fille et mon fils, à faire un casse-tête. Sur la photo, elle a à nouveau huit ans. Elle a les joues rondes de ses huit ans, un visage concentré, amusé. Elle a mon fils, grognon, tout contre elle.

Peut-être parce qu’elle ne pleure pas, peut-être parce que je ne connaissais pas d’autre enfant avant elle, j’ai toujours eu de la difficulté à lui donner un âge. Mais sur la photo, elle avait huit ans et j’étais heureuse, de la retrouver comme ça, importante, au milieu de mes enfants, importante et enfant, avec ses longues jambes, ses pieds chaussant mes bottes, encore un peu enfant, elle qui ne m’a jamais aussi peu sembler l’être, quand je la compare avec ceux que je connais, maintenant.

Je me souviens d’elle, à cinq heures du matin, un jour après notre retour de vacances en Bretagne. Elle était éveillée et moi aussi. Nous étions allées sur la piste cyclable du Canal Lachine, avec sa poussette. C’était en juillet ou début août. Il était cinq heures du matin et je courais et je voulais l’entendre rire.

Nous avions achetés des fleurs pour son père. Et une chocolatine pour elle.

Je crois qu’elle avait ri quand je courais.

Les dernières pointes de Sylvie

février 12, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

ballerine

« J’aimerais offrir ma dernière paire de pointes à Élisa. Je voulais savoir ce que tu en pensais. Elles sont vieilles, mais je suis certaine qu’elle pourra s’amuser avec, lorsqu’elle se déguise. »

Le cœur serré, j’ai accepté.

Sylvie se séparait de ce qu’elle n’amenait pas dans son nouveau logement. Après vingt ans près de la rue Masson, elle se retrouvait à déménager au mois de février, plus près du McDonald’s de la station Langelier que de La Chocolaterie du Vieux-Rosemont.

Elle m’a écrit ensuite, pour me dire qu’elle avait accroché, à ma boite aux lettres, un sac, pour ma fille. Dans le sac, il y avait sa paire de souliers de ballet. Et une petite carte. Elle s’excusait, Richard a déjà mis dans des boites mes emballages cadeaux et les sacs et les cartes, ne regarde pas le sac, et les pointes sont vieilles, elles sont abîmées.

Les pointes de chez Rossetti étaient magnifiques.

J’ai expliqué à Sylvie que je ne pouvais pas les donner à ma fille.

Ce serait les premiers chaussons de ma fille, les derniers de Sylvie, qui ne danse plus sur une scène, mais le vendredi, dans le salon d’une amie, oui, parfois le vendredi, sur les chansons de Stromäe, pour oublier la fatigue de son corps, les os qui font mal, les mains qui ne s’ouvrent et se ferment plus aussi facilement, les jambes si minces, si délicates, qui la font souffrir, et qu’elle oublie, quand elle marche dans le quartier, souriante, la tête blonde, ou qu’elle danse, dans le salon de Brigitte.

Sylvie est allée nous rejoindre à la maison. Elle a défait son manteau, l’a mis contre la chaise de ma fille. Je lui ai proposé un thé à la citronnelle. Je lui ai redonné le sac qu’elle avait laissé à ma porte.

Elle a offert les souliers à ma fille. Le papier de soie sur le plancher, Élisa a pris les pointes. Elle les a mises. Je ne voulais pas lui demander de danser. Je ne voulais pas provoquer quoi que ce soit. Je voulais la voir avec les pointes. Je voulais voir Sylvie la voir avec les pointes.

Élisa s’est tout de suite mise sur la pointe des pieds. Sylvie l’a applaudie.

« Tu pourras lui mettre de vieux bas, au fond des chaussons. »

Ni mes enfants, ni Sylvie ne touchaient aux croustilles de banane plantain ou aux raisins enrobés de yogourt.

Ma fille s’est faite un tutu de papier de soie bleu. Sylvie me parlait des auditions, du sang sur ses pieds, des chevilles des autres ballerines.

Elle m’a fait promettre que nous nous reverrions, même si elle n’était plus en face, même si le matin, nous ne cognerions plus à la fenêtre, pour la saluer, nous en pyjama, elle, souriante, la tête blonde, se dirigeant vers son bureau sur la rue St-Hubert.

Il y aurait d’autres thés et des applaudissements et Sylvie qui ne dit jamais qu’elle est malade, mais que son corps l’empêche parfois de téléphoner ou de danser sur une chanson de Stromäe.