Archive for mars 2019

Ce qu’un escorte lit en pleurant

mars 21, 2019

Maxime Durocher a l’air dix ans plus jeune que son âge et organise parfois des pyjamades dans des hôtels montréalais, avec promesses de pizza et de plaisir. Il est un escorte charismatique, respectueux et il prend souvent la parole comme allié de ses collègues féminines, qui sont plus stigmatisées et criminalisées que lui.

Je ne l’ai jamais entendu dire du mal de quiconque et il garde ses rencontres professionnelles secrètes, comme des joyaux entre lui et la femme qui le convie à passer un bon moment avec elle et du latex.

Sur son site web, il parle de ses services, de son parcours et répond à toutes sortes de questions, comme Is there such a thing as too much foreplay?, What advice would you give men on how to properly worship breasts? et Why is it that men require possession of the remote control?

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Récemment il a posé avec mon livre Juicy. C’est pour moi un honneur et je pense que rien ne me rend plus heureuse que lorsqu’une personne dans l’industrie du sexe apprécie mon livre. Deux autres escortes à ma connaissance ont posé avec Juicy et je trouve ça délicieusement adorable, que de retrouver mes mots tout contre la peau de ceux et celles que j’admire le plus au monde.

Je l’ai questionné sur ses choix et habitudes de lecture, parce que parler cul avec un escorte, c’est moins original que de parler de ce qui l’inspire intellectuellement.

Le livre que tu as plus lu et pourquoi: The Eye of the World. Parce que c’est le premier de ma série favorite par mon auteur favori. Robert Jordan décrit une aventure fantastique avec un niveau de détails qui me captive.

Ce que tu lis présentement: Wikipédia, sur l’Égypte ancienne.

Un livre que tu donnes en cadeau: Luttes XXX. Parce que ça décrit tellement bien la lutte pour les droits des travailleuses/eurs du sexe ainsi que son fondement.

Un livre qui t’a fait pleurer: Le Seigneur des anneaux.

Tes habitudes de lecture: Avant de me coucher, juste après ma douche, après mon somnifère et mon antidépresseur. Ça m’aide à me relaxer et à m’assoupir.

Un pendentif pour se connecter au pouvoir de la vulve

mars 19, 2019

Shot with NOMO INS W.

J’aime les vulves. Je n’ai pas de tatouage de clitoris – je n’ai pas de tatouage – mais je suis très fière d’un collier que la créatrice Kiève Pauzé m’a offert. Elle a accepté de répondre à quelques questions pour me permettre de mieux comprendre ce qui inspire soudainement l’envie de mouler des vulves en argent.

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Quel est le premier bijou que tu as créé?

Un pendentif qui représente un arbre. Ses racines deviennent une pirogue. Sous la pirogue, j’ai placé une perle pour représenter l’eau. Je l’ai fabriqué en m’inspirant du mythe mélanésien de Vanuatu, qui résonne beaucoup chez moi, et chez beaucoup de voyageurs et de grands rêveurs. Le voici:

« Tout homme est tiraillé entre deux besoins. Le besoin de la Pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, c’est-à-dire de l’enracinement, de l’identité. Les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre qu’on fabrique la Pirogue. »

Pourquoi faire une collection Vulva?

J’ai toujours aimé gêner les gens un peu, pas trop, mais juste assez pour piquer leur curiosité et déclencher une conversation. J’aime que les gens sortent de leur confort et puissent parler de tout et de rien sans avoir à en être timide. Et quand je parle de gens, je parle de moi-même aussi bien sûr.

Avec ma collection, il y a tant de choses à apprendre et à connaître, la vulve représente tellement de sujets variés, et j’aime qu’elle ouvre parfois des portes à de telles conversations avec des gens dont tu ne discuterais jamais de ça!

Quand j’ai fabriqué ma première vulve, je l’avais faite pour moi. Elle représentait tellement de choses pour moi. Je suis devenue maman environ un an avant de créer ma collection Vulva. C’était durant ma grossesse que je me suis sentie le plus connectée à la femme en moi. C’est comme cela que je l’ai vécu, mais je sais que plein de personnes se sentent connectées à un autre moment qu’une grossesse. J’ai trouvé mon corps divin, magique. Je voyais mon utérus comme un endroit magique, et la vulve, l’entrée – et la sortie – sacrée.

J’ai rapidement fait un lien entre la vulve et la maternité, mais pas que la maternité comme création, non. La maternité dont on a peur de parler aussi: les avortements, les fausses couches, les pertes de grossesse, les adoptions…J’ai commencé à voir les femmes différemment – mamans ou non. La vulve a commencé à représenter une force très puissante pour moi. Je crois profondément que les femmes sont remplies de magie et qu’elles peuvent changer le monde.

Shot with NOMO INS W.
Que signifient les noms que tu as donné à tes oeuvres de la collection vulve? Est-ce qu’ils viennent de femmes dont tu es proche?
Exactement! Les cinq pièces de la collection ont les noms de femmes pour qui j’ai beaucoup de respect et d’amour. J’ai aussi choisi ces cinq femmes car elles sont toutes différentes l’une de l’autre. Maya étant une femme forte et indépendante, Alicia étant une femme honnête et directe, Violaine étant une femme libre et optimiste, Émilie, une femme douce et intuitive, et Audrée, une femme enracinée et décidée. J’ai la chance d’être entourée de tellement de femmes incroyables, je pourrais nommer une cinquantaine de vulves, mais bon, pour l’instant je n’en propose que cinq.

Comment voudrais-tu qu’on parle de la vulve au quotidien? Qu’est-ce qui manque présentement pour que la vulve, les femmes et leur pouvoir soient respectées?

J’aimerais que les discussions soient plus ouvertes et honnêtes, toutes les discussions qui visent la vulve, le clitoris, le vagin, les menstruations, la masturbation, le consentement, le sexe, l’orientation sexuelle, la grossesse, l’avortement, les fausses couches, les décès périnataux, ainsi que les droits des femmes à travers le monde, leurs statuts sociaux, économiques, religieux…

Je crois que nous devons vraiment éduquer les jeunes filles à devenir des femmes qui ont confiance en elles-mêmes, en leur pouvoir. Je crois que nous vivons dans une société où les jeunes filles sont trop facilement rabaissées. Elles ne voient alors pas leur juste valeur. Nous sommes chanceuses d’avoir des guerrières qui abordent plusieurs sujets d’inégalité chez les femmes, mais je crois vraiment que nous devons créer une génération entière de femmes puissantes et audacieuses. Nous sommes toujours plus fortes à plusieurs…Imagine une armée de femmes qui ont confiance en elles-mêmes et qui se soutiennent!

Shot with NOMO INS W.
Tes créations ont une forte symbolique. Qu’est-ce qui est important pour toi de passer comme message à travers tes oeuvres?

Que nous sommes tous « assez ». Chacun d’entre nous, peu importe notre sexe, notre orientation, notre ethnicité, notre religion, notre âge, notre salaire. Apprenons non seulement à se tolérer et s’accepter, mais cherchons également à se comprendre. C’est la chose la plus difficile à accomplir, se faire comprendre. J’ai rencontré des gens qui ne comprennent pas pourquoi je porte une vulve à mon cou, une vulve dans mon oreille, mais ils cherchent à comprendre…Et quand on commence à chercher à comprendre…c’est le début de tout!

Tu dis être inspirée par les mythes et histoires. Qu’est-ce qui t’inspire le plus présentement comme histoire?

Ma dernière pièce est le cordon ombilical de mon fils. Cette pièce représente bien mon histoire préférée: comment est venu au monde cette petite personne magique. C’est pour moi la plus grande histoire d’amour au monde. Je crois que toutes les mamans comprennent bien cette histoire-là, même si, pour chacune, l’histoire est différente. C’est pour ça que je cherche à rendre éternelle la forme de ce qui a connecté maman et bébé durant la grossesse.

La nostalgie de parler de mes seins à des inconnues

mars 18, 2019

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il y a dix ans avec un maillot de bain Marciano et un cul toujours parfait

Ma première fois dans Urbania n’était pas pour parler de noms d’escortes ou de lubrifiant, mais pour parler de vodka et du fait que je me considérais pas comme une femme mais comme une pouliche. Oh well. Ça me manque, les rallonges dans mes cheveux et les cabines de Marciano. Et d’être comparée à Jenna Jameson.

Extrait « L’endroit où on risque le plus de te croiser :

Dans les toilettes du bar Le Confessionnal, à me remettre du gloss et à parler de mes seins à des filles que je ne connais pas »

Des coupeuses de tête et suceuses de queue

mars 18, 2019

 

Cette semaine je serai de la bande à Bianca Longpré à QUB pour parler d’un article que j’ai écrit pour Urbania. C’est au sujet des noms d’escortes. Comment choisissent-elles leur nom, comme un semblant de gage de leur réputation et de leur succès dans l’industrie du sexe?

Être escorte est un travail, et même si ça en fait rigoler un peu, la démarche pour réussir dans l’industrie du sexe est comparable à celle pour toute entreprise canadienne. Les conseils d’Entreprises Canada : c’est pas que pour les plombiers et les propriétaires de boutiques de colliers chics pour chats.

Il faut lire l’article absolument mais je vous donne ici en extra des explications d’escortes qui ont été coupées – parce que je ne peux pas écrire 2000 mots sur les escortes all the time même si j’en aurais envie.

  1. Léonie Stein explique que Léonie vient de l’œuvre de Marcel Proust : « C’est la madeleine qui explose en souvenirs et histoires, et Stein est inspiré par un personnage de Marguerite Duras. C’est l’implosion, le trou. Je suis quétaine et un peu trop littéraire.»
  2. Le monde des dieux a aussi inspiré Charlotte : « Je voulais mappeler Freyja, la déesse nordique de l’amour, de la fertilité et de la guerre. Je trouvais ça badass, mais personne ne comprenait. J’ai finalement choisi Charlotte, parce que je trouve ça cute mais beaucoup de clients trouvent que ça fait vieillot. »
  3. Noémie voulait s’appeler Salomé, « comme cette danseuse dans la Bible qui danse devant le roi Hérode, sans savoir que c’est son père, et qui lui dit, charmé par elle, qu’il souhaiterait exaucer un de ses vœux. » Salomé lui demanda alors why not de couper la tête de Jean Baptiste et Noémie ne prend finalement pas son nom, car les clients se mélangeaient et l’appelaient Paloma et Paméla.
  4. Malika Fantasy a un grand-père marocain qui l’appelait Malika, petite. « Ça veut dire princesse en arabe et Fantasy, parce que je crée des fantasmes, de la fantaisie », résume-t-elle.
  5. Laure choisit quant à elle ses noms en fonction des filles qui lui ont mené la vie dure pendant sa scolarité : « Je me réapproprie ces prénoms, tout en ayant ma petite vengeance sur celles qui m’ont intimidée et slutshamée. »

Il est à noter que je suis très reconnaissante que peu à peu les médias s’ouvrent au sujet d’une façon pas sensationnaliste ou moralisatrice. Je critique souvent la place qu’occupe le travail du sexe dans l’actualité : des femmes-jambes en résille, des faussetés présentées comme des faits, de la morale moins résistante qu’un condom à la menthe. Mais en évoquant autre chose, en allant au-delà des appréhensions et inconforts, les médias aident à diminuer un stigma horripilant. J’ai beaucoup beaucoup beaucoup de gratitude d’avoir la possibilité de participer à rendre plus visible la réalité  des travailleuses du sexe, sans avoir recours à des clichés et à des craintes.