Janet n’est pas seule

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Janet

Janet, elle ne me parle pas anglais, mais c’est une anglo qui parle français avec une voix à la Édith Piaf. Elle habite au bout de ma rue, je l’imagine habiter au bout de ma rue, mais je ne la vois jamais chez elle. Je la vois sur un banc près du Jean-Coutu ou les pharmaciennes lui remettent ses médicaments pour le sommeil et pour la douleur, ses médicaments pour supporter ses deux cancers. Je la vois sur la rue Masson, à marcher lentement, avec une cigarette et des sacs en plastique plein de conserves pour chats.

Ses chats n’aiment pas la nourriture à rabais. Ils boudent, quand ils détectent une contre-façon, un détour au Dollorama plutôt qu’à l’animalerie du coin.

Janet aime beaucoup ses chats. Quand elle passe quelques jours à l’hopital, elle s’inquiète pour eux. Elle ne sait pas encore qui les prendra, quand elle sera morte.

Chez Janet, il y a beaucoup d’appartements et il y a un concierge qu’elle n’aime pas, il ne change pas la serrure de sa porte, elle ne ferme pas bien depuis juillet. Elle met des meubles devant sa porte, le soir, sinon elle ne s’endort pas.

L’autre jour, ce n’est pas moi qui l’ai vue, c’est ma fille. Elle a crié et je me suis retournée. Janet était toute petite et chagrine sur un banc, ses fesses sur un banc froid. Je n’étais pas encore penchée vers elle, pour l’embrasser, qu’elle m’a annoncé qu’elle allait mourir dans six mois.

« Mon médecin m’a donné le nom d’un psychiatre, mais je ne peux pas. Je le crois pas et je veux pas le croire. J’ai le droit, han, de faire comme si j’allais pas mourir dans six mois ? J’ai 85 ans, tu es jeune toi, tes petits sont jeunes aussi, j’ai 85 ans mais je veux pas qu’on me dise que je vais mourir dans six mois. Janet va pas bien. »

Mes enfants s’impatientaient. Janet et moi parlions encore, de ses chats, de ses poumons. J’ai salué une voisine qui se baladait avec une bouteille de jus d’orange. J’ai embrassé Janet et elle m’a dit : « Je fais semblant, je ne suis pas folle ou peut-être que je suis folle. » Elle crachottait en riant mais même les bruits de sa gorge abimée avaient de quoi de charmant et de faussement gai. « Je me suis inventée une amie. Elle s’appelle Thérèse. Je l’accueille chez moi, je lui dis qu’elle devrait laisser son mari parce qu’elle ne l’aime pas. Je lui dis qu’elle est toujours chez moi. Je la juge pas, Thérèse, mais elle est toujours chez moi avec ses problèmes. Elle devrait le quitter. Je suis folle, je sais. Mais je suis pas seule. C’est un secret, mais je suis pas seule. »

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