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Dénoncer larmes, agressions et humiliations

février 5, 2016

valium

collage par Valium

Lundi, Tanya St-Jean, une des créatrices du site Je Suis Indestructible, est allée parler du mouvement #AgressionNonDénoncée, un mouvement déclenché suite aux révélations sur Jian Ghomeshi. La première journée du procès de Jian Ghomeshi aurait été un bon moment pour revenir sur les avancées du mouvement, sur ce que ça signifie, dénoncer ou ne pas dénoncer.

Son entrevue a été diffusée sur les ondes de RDI et Radio-Canada.

Elle tenait à parler de la difficulté à porter plainte. Elle tenait à parler de la culture du viol. Elle tenait à parler de la peur.

Elle a parlé de tout ça. Mais ses observations ont été coupées. RDI et Radio-Canada ont gardé ses larmes.

Les victimes, dans les médias de masse, ne seraient intéressantes que si elles pleurent, si elles relatent leurs agressions, leurs histoires d’horreur ? Leurs propos brillants, leur questionnement par rapport à ce qui est banalisé, oublié, caché, tchop tchop, coupés ?

Pas de sensibilisation si on réussit à trouver une tournure sensationnaliste à tout témoignage ?

Valium 3

collage par Valium

Suite à la diffusion de son entrevue, Tanya St-Jean a tenu à exprimer son malaise et sa colère face à ce que la télévision a projeté d’elle et de ses idées. Sur sa page Facebook personnelle, voici ce qu’elle a écrit :

« j’aimerais rectifier un point – qui vaut de l’or pour moi – quant au reportage diffusé hier soir sur les ondes de RDI et Radio-Canada. (car je suis un peu fâchée, oui.)

ceuzes qui me connaissent par coeur, savent que je ne parle JA-MAIS de mes agressions.

pourquoi ? car ce n’est pas de moi dont il est question, mais de nous tous, survivantEs de violence à caractère sexuel. et c’est tout simple à expliquer : quand on demande à des membres de l’équipe de Je suis Indestructible d’être en entrevue afin de discuter d’actualités reliées au sujet de l’agression sexuelle, l’essentiel c’est de parler de notre mission et de nos observations.

mais c’est avant tout de donner la parole aux autres, de créer un espace sécuritaire – oui, ceci sonne encore utopique – pour les survivantEs d’agression sexuelle.

l’entrevue d’hier me démontre sensible, brisée… on a prit mes larmes, on me les a volées pour faire couler du sensationnalisme spectacle à la télé nationale.

j’ai discuté avec la journaliste un bon 15 minutes avant d’en arriver à ses fameuses questions « Vous avez été agressé vous aussi ? Dénonceriez-vous vos agresseurEs? Vous aviez quel âge? »

menstruée, émotive et nerveuse, j’ai été pris de court.

mais pendant le 15 minutes de conversation qui précède, j’ai discuté énormément du manque de confiance envers le système judiciaire qui s’observe dans nos témoignages reçus depuis plus de deux ans. j’ai tenté de l’expliquer, en parlant de culture du viol qui se voit banalisée quotidiennement dans nos médias, dans notre environnement social, notre famille, nos amiEs, au travail, à l’école. j’ai parlé de ce maire resté en poste sur la Côte-Nord, de ce juge de la cour fédérale, de ce policier, des campus universitaires… j’ai parlé du doute, de la peur de ne pas être cruE et comprisE lorsqu’on dévoile son histoire d’agression.

j’ai aussi énoncé des statistiques, sur la mouvance des mots-clic ‪#‎BeenRapedNeverReported / ‪#‎AgressionNonDénoncée et l’impact que celle-ci a eu sur notre implication.

à la question « Pourquoi peu de victimes dénoncent leur agresseurs?”, j’ai tenu à maintes reprises à souligner que c’est un processus qui peut s’avérer aussi violent que l’agression elle-même et qu’encore plusieurs lacunes existent quant à l’accompagnement des victimes dans ce cheminement.

j’ai parlé de ressac anti-féministe, de ces manifestions violentes qui s’acharnent à chaque prise de parole.

j’ai aussi expliqué la mission de Je Suis Indestructible et l’impact positif que ce projet a eu dans la vie de plusieurs personnes, de cette grande famille de gens qui ne se connaissent pas mais qui portent le même combat.

bref, j’ai fait beaucoup plus que verser quelques larmes égocentriques, coincée dans un coin par une journaliste.

une leçon qui m’apprend – encore – que trop souvent, les médias prennent bien ce qu’ils veulent dans une entrevue. et ce, même s’ils nous convoquent afin de parler de tout sauf ce qui transparaît à la tévé.

je tiens par exemple à vous dire MERCI. merci pour vos doux mots pis l’amour dans mon inbox depuis hier, toute la nuit, tout le matin. j’ai aussi parlé que JSI m’avait outillé à devenir cette jeune femme forte… et, c’est chacun de vous, ça.

des fois, comme lala, je trouve que « Ensemble, brisons les chaînes du silence! » prend tout son sens.

vous êtes magnifiques, et tout aussi inspirantEs et fortEs que moi, comme vous me le dites. ne l’oubliez jamais ok?

#‎lamadameestfachéecrissecul

‪#‎lamadamequivousaime »

résilience par valium

collage par Valium

Quelques jours après, Tanya St-Jean a remarqué que même les organismes contactés par les médias populaires ne recevaient que des questions sans relief, tel que avez-vous vu une augmentation de fréquentations de vos centres d’aide ?

L’important ce n’est pas l’augmentation. C’est froid, comme question, c’est un chiffre, un pourcentage, ça révèle ce que ça révèle, sans rien approfondir. Tanya St-Jean se demande pourquoi n’est-il pas possible de parler franchement de culture du viol, de prévention, de sensibilisation.

Roxanne Guérin, aussi une des instigatrices de Je Suis Indestructible, a réussi à en discuter avec l’équipe de Vice. Elle a également fait remarquer à quel point il peut être difficile pour les victimes d’agressions sexuelles d’obtenir justice.

Récemment, une amie, victime, tout comme quatre autres femmes, d’un homme les ayant agressées violemment, m’a confié son désarroi et sa colère devant la sentence que son agresseur avait finalement reçue. Ce dernier avait plaidé coupable et son avocat avait plaidé que le viol était dans les mœurs de son pays d’origine, le Congo. Une telle banalisation a surpris mon amie.

Elle s’est sentie d’autant plus impuissante quand elle a su qu’elle n’avait aucun rôle sauf celui de la victime. La Couronne ayant conclu une entente avec la défense, seul le chef d’agression sexuelle était conservé, puisque l’accusé avait accepté de plaider coupable. Laisser de côté les autres chefs, c’était plus que frustrant, c’était violent, pour mon amie. Pour elle, c’était comme si sa séquestration et les autres abus qu’elle avait vécus étaient à oublier, impossibles à croire, pas importants pour personne sauf pour elle.

Valium 2

collage par Valium

Rien n’est facile à oublier. Rien n’est simple dans une agression, ni dans ce qui en suit. Et si les médias n’en parlent pas, et si les victimes se sentent désoeuvrées, humiliées par un système qui se doit de les protéger, qu’est-ce qu’il faut en penser ? Comment réagir face à ceux qui ne croient pas les femmes qui osent dénoncer ? Comment réagir face à un agresseur reconnu qui garde sa position de maire ? Ce n’est pas des larmes qu’il faut montrer. Ce sont des mots qu’il faut entendre. Et répéter.