Posts Tagged ‘Journée internationale de la femme’

Occupy le 8 mars

mars 9, 2016

stunning 8 mars

Le 8 mars, journée internationale des droits de la femme et des débats insupportables sur le véritable nom de cette journée, le 8 mars et les luttes, le 8 mars et « la solidarité et la compassion comme approches radicales », tel que proposé par Anick Desrosiers, le 8 mars et toutes les femmes.

J’aurais aimé vous parler de plus de femmes, de Daniella et ses jupes, de Geneviève qui n’a pas pu être psychologue, de Josée Yvon, de Marie et son besoin de silence et d’un langage nouveau, de Christiane et d’une chasse aux trésors, d’Émilie et de sa cachette sur un terrain de golf, de Dominique et de ses muffins au chia et des photos oubliés chez son ex, d’Aimée et de ses mouvements envoûtants de danse, de Josée et des numéros de téléphone sous une semelle de souliers, de Tracy Quan, de Vania et ses plaisirs, de la dame à l’arrêt d’autobus, rouge au lèvres, qui me parle de son futur petit-fils, de France, ma marraine, et de notre correspondance interrompue, de Sandrine et ses chansons, d’Evelyne et des objets à époussetter, de Sandrine et ses compromise et ses souvenirs de plage, d’Alice Munro, de Gwen et les questions à sa fille, de Chelsea Handler, d’Élisabeth Badinter, d’Amélie et de ses accouchements, de Joanna Angel, de Marie-Hélène et sa confiance et ses mots, de Karine et des robes qu’elle fait selon les dessins de ses élèves, d’une autre Karine et de sa maison comme une chambre à soi,de Stéphanie St-Amant, d’Anne-Marie et de son visage sculpté dans la résilience, de Magalie et de sa fête au Lo Dico, de Marcelle et des leçons de piano qu’elle me donnait.

Merci d’avoir lu ma série de portraits.

Je vous propose d’autres lectures, dans un ordre hasardeux, d’autres lectures sur les femmes et leurs droits et leurs luttes et leur corps, leur corps qui leur appartient toujours, qu’elles choisissent de vendre une heure d’affection, d’accoucher à la maison ou à l’hopital, de manger leur petit déj toute nue, leur corps, toujours, devant un miroir, ou jamais devant le miroir, le corps que nous habitons et qui nous est nié, nous ne sommes pas qu’un corps, mais nous nous retirons trop souvent hors de lui, nous ne sommes pas que des seins, un sexe, des jambes, des cheveux, je ne suis pas qu’une jument sauvage, mais par souçi d’être totalement qui je suis, je veux et j’occupe mon corps, consciemment, et le proclame, le 8 mars.

1.Je suis pizza, par Corine Lespérance.

2.Women in the porn industry need rights and proper pay, not token gestures, par Zahra Stardust.

3.On a listé les pires initiatives pour la journée internationale des droits des femmes, par Carole Boinet.

4. International Women’s Day, par Ann Montgomery.

5.10 female revolutionaries that you probably didn’t learn about in history class, par Kathleen Harris.

6.60 stunning photos of women protesting around the world, par Emma Gray et Damon Dahlen.

7. Why we smile at men who sexually harass us, par Hanna Brooks Olsen.

Élisa est une conquérante

mars 9, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

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photo: Myriam Lafrenière

Elle glisse : « Les vers de terre en jujube, c’est long comme les pénis. » Je lui demande de répéter et elle répète et elle rigole, pendant que je fais pareil. Elle me demande ensuite de la regarder et elle danse, et je devine qu’elle tente d’emprunter des mouvements à notre vidéo préférée, un extrait du Petit musée de Velasquez, elle aime les bras qui bougent vite, elle aime les jambes qui bougent vite, et elle aime tomber et se relever, et elle me montre comme elle tombe, et je la trouve belle, je la trouve belle de précipiter et d’aimer les chutes, et de se relever, pour faire une révérence et une grimace.

Elle me demande souvent de la regarder, et je la regarde et quand je ne la regarde pas, je regrette mais je me dis aussi qu’elle doit être seule parfois, seule à se regarder dans le miroir, seule pour inventer des histoires, avec sa petite voix de dictatrice, cachée sous trois couverture et deux déguisements enfilés l’un par-dessus l’autre. Elle dit aussi : « Ce n’est pas grave si j’ai le rhume, l’important c’est que je me trouve belle. », déformant mes propos, déformant ce que je lui dis quand elle me demande si elle est belle.

Ma fille a la beauté d’une conquérante, la beauté imparfaite d’une chevalière qui combat des méchants loups imaginaires en robe de Cendrillon, elle n’aime pas les mensonges, elle demande toujours si c’est vrai, si c’est vrai que je mangeais la nourriture de mon chien, quand j’avais son âge, si c’est vrai que mon grand-père chassait les chevreuils, si c’est vrai que les raisins c’est bon pour le caca.

Elle demande déjà si souvent si c’est vrai qu’elle est belle, et je ne redoute pas encore le poids de ses obsessions, parce qu’elle est plus flamboyante que belle, impolie devant ceux qui ne se soumettent pas à elle, elle n’aime pas les câlins sauf ceux de son frère, ou les miens et ceux de son père, quand elle brise ses lunettes préférées ou qu’elle écoute Le Chant de la mer et qu’elle me fait jurer de ne jamais partir comme la mère dans le film scandinave, je lui jure de ne jamais disparaitre, et je me jure de ne jamais vouloir crever, pour elle, parce que même quand nous crions et claquons les portes, à quatre ans déjà, parce que même quand elle se refuse à moi, je sais qu’elle a besoin de mes dessins de pouliche, des morceaux d’ananas que je lui coupe, des berceuses, des secrets que nous nous disons, quand nous sommes sous la table ou au fond d’une garde-robe.

Quand elle s’ouvre à moi et qu’elle me dit un secret, le nom de sa planète préférée ou sa désolation de savoir que sa meilleure amie ne veut plus se marier avec elle, quand elle s’ouvre à moi la vie est parfaite, et je ne pourrais jamais vouloir crever, grâce à elle, grâce à mon arrache-cœur, comme son père l’avait surnommée, à sa naissance, mon arrache-cœur, ma conquérante, ma petite fée, mon oiseau, j’ai un collier, brisé, un collier que j’avais acheté pour elle, pour célébrer mon ventre qui s’arrondissait, c’est un collier avec une cage et un oiseau, parce que j’aime les oiseaux, mais j’ai brisé, en l’échappant, le collier, et il ne reste plus que la cage, l’oiseau, l’oiseau est libre, et cet oiseau représente bien plus ma fille qu’un collier à attacher, ma fille ne s’attache pas et ne se met pas en cage.

Elle dit aussi que le père de Jésus est un magicien et qu’il a tout créé, sauf les maisons, parce que les maisons, ce sont les humains qui les font. Quand elle parle, elle structure tout, sa pensée, la mienne, et elle termine, c’est vrai, c’est vrai maman, et tout est vrai, tout est vrai si elle le dit, je ne pourrai jamais lui dire qu’elle ment si elle ment, parce qu’elle réussit à tout rendre vrai, à tout rendre vivant, comme le père de Jésus, elle rend tout vivant, et ses jambes qui bougent vite, comme Louise Lecavalier dans Le petit musée de Velasquez, et ses bras bougent vite, et ses yeux cherchent les failles dans les miens, mais je garde la tête haute et je la soutiens, oui c’est vrai, Élisa, c’est vrai.

Avant elle était dans mes bras, elle y dormait, elle passait son temps contre mon cœur, et maintenant que parfois elle me boude, parfois je ne la regarde pas, parfois je redoute nos cris, maintenant, je vais la rejoindre, la nuit, et je dors près d’elle, une peluche en guise d’oreiller, et elle ouvre parfois les yeux, elle me regarde, étonnée, pose un bras sur mon bras, et nous dormons, et le lendemain, elle ne s’en souvient pas.

Elle ne se souvient pas de mon souffle contre son visage, quand elle dormait, et je suis déçue, car lorsque je dors tout près d’elle, tout est calme et paisible, et ça me semble racheter mes exigences, mes emportements, mes cris, injustes, et elle ne s’en souvient pas.

Marion ne doute presque pas

mars 8, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Marion

Dans un recoin de mon appartement, avec nos premiers enfants qui tentent leurs premiers pas, Marion me raconte qu’elle allait à l’église le dimanche toute seule, jeune adolescente en autobus, de chez sa mère à l’église, celle que lui avait fait découvrir son père, celle de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.

Assise, le dos contre un mur, elle se rappelle qu’elle avait refusé d’aller voir American Pie avec ses copains du lycée.

Elle affirme sa foi et sa bonté tout naturellement, dans sa compassion pour les autres, ses appels à l’aide, son ouverture, nous parlons de tout, ensemble, même si elle ne peut pas écouter The Wolf of Wall Street parce qu’il y a trop de corps surexposés et de blasphèmes et même si moi, de mon côté, je crois fermement à Jésus et au pouvoir du grain de beauté sur mon sexe. Nous ne blâmons pas l’autre pour ce que l’autre n’est pas.

Si elle aime sans douter, elle doute encore trop souvent d’elle, ses yeux fatigués, ses yeux distraits, ses yeux admirant ses fils, ses fils à bicyclette, avec des chandails de super-héros, ses fils, l’un contre elle, tout contre elle, son fils koala, et l’autre qui se sauve des baisers, ses yeux sont doux pour le monde entier, mais durs lorsqu’ils s’abaissent sur elle.

Marion aurait besoin de dormir quatre-vingt heures, d’être bordée dans une couette chaude, qui sent les marguerites et les croissants et le chocolat chaud, mais elles n’existent pas encore, les siestes de quatre-vingts heures, alors Marion s’accroche et se répète que tout ira bien.

Tout ira bien, elle le prie et je le prie, tout ira bien car tout doit aller forcément bien, après le mal de se lever et de réconforter ses petits, après il y a des gâteaux et des pinatas à réaliser, des chants, la télévision en background, des décorations en carton en background, des concombres et des tomates sur le balcon, tout ira bien.

Valérie et ses caresses à l’encre

mars 8, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Valérie illustration par Jehan Cho

Sa peau est recouverte de tissu noir et de tatouages. Elle croit que les autres ne remarquent que ça, qu’ils la jugent, lui reprochent son choix de s’approprier sa peau comme d’autres n’osent pas le faire, sauf pour s’appliquer de la crème anti-cellulite.

C’est vrai que sa peau, c’est ce qui est le plus visible. Son amour pour Dean Martin, les cocktails de grand-père et la tartinade aux noix de cajou, c’est caché. Le lit de son adolescence, les égratignures sur son cœur, ce qu’elle n’ose pas se dire à elle-même et montrer aux autres, ses doutes sur tout, sa vulnérabilité de petite demoiselle perdue dans un labyrinthe, ça aussi, cachés.

Elle laisse les enfants dessiner sur elle, les miens et les siens, des crayons feutre et des crayons pour le maquillage, son corps avec la première lettre du prénom de ses filles, ses lèvres trempant dans un verre de vin blanc, pendant qu’elle attend, un autre coup de crayon, d’une couleur incertaine, sur ses joues ou sur une jambe. Nos enfants, déguisés en princesse, démon, super-héroïne, panda, méchant loup, nos enfants déguisés même sans costume, nos enfants autour d’elle, pour la conquérir.

Elle se sent seule trop souvent, ou plus incomprise que seule, les câlins elle les prend quand ils viennent, mais parfois, parfois nos bras se craignent, comme si l’enlacer pouvait donner sur une rupture ou une lutte, elle n’est pas seule, mais éloignée, elle revient les mains en dentelle, les égratignures sur son cœur imprimées partout sur ses paumes, dans l’ouverture de ses mains, il y a ses tremblements et ses craintes.

Ses tatouages, ce n’est pas pour être originale, ni pour crier qu’elle existe aux gens qu’elles croisent. Je crois qu’elle les a pour apprendre à se protéger, ses tatouages comme une armure, ou comme une caresse, à une peau qu’elle veut aimer, à un corps à elle, un corps qu’elle se construit comme un château de cartes qui ne s’écroulera pas.

Tu ne t’écrouleras pas Valérie.

Hélène attache ses cheveux avec un morceau de cuir et un clou

mars 8, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Hélène

J’ai hésité avant de publier ce texte, parce que j’ai déjà écrit avec beaucoup d’impudeur sur Hélène, et je le regrette. Mais j’admire Hélène, et j’admire la cousine qu’elle m’a donné. Ce n’est pas tout le monde qui a eu la chance de la connaître, de l’écouter ou d’être écoutée par cette femme.

Pour moi Hélène, c’est une femme qui écoutait du Bach en placotant avec ma maman, lui proposant ainsi un havre de paix, une porte ouverte aux sons du classique, où le temps s’arrêtait pour ma mère, car le rythme plus indolent d’Hélène ralentissait le sien, dans une maison ou les petits voisins, ses enfants et les enfants de ma mère jouaient en circulant du sous-sol à l’étage. Hélène, c’est une femme qui se penchait en avant, le coude sur la table, pour se confier ou parler de politique sociale, elle avait un air aristocratique, Hélène, même quand c’était tard, et que nous, les enfants, nous étions à manger les dernières guimauves collantes, retrouvées dans un tiroir au chalet canadien de nos grands-parents, et que les adultes, eux se brouillaient sur différents sujets, ou prévoyaient une glissade, le lendemain, ou une énième partie de Quelques arpents de piège.

Hélène avait un air raffiné, pour moi, tout le temps, qu’elle soit dans un restaurant chinois à banquettes oranges, à Repentigny, un restaurant entouré d’une charcuterie et d’un salon de coiffure, nous y étions, Hélène et cinq ou six fillettes, pour l’anniversaire des neuf ans, je crois, de sa fille, ou, raffiné, dans un train, plein d’échardes, en direction de Québec. Elle était élégante, sans jamais être snobe, sa haine des tailleurs, ses yeux intelligents, son petit nez parfait, sa voix d’adulte qui parle aux enfants sans les prendre pour des cons, le morceau de cuir dans ses cheveux, quand ils étaient longs, et le gros clou qu’elle y enfonçait, et ses jupes en lainage, qu’elle me donnait, et que j’empilais dans le haut de ma garde-robe, en rêvant au moment où je serais assez distinguée pour bien les porter.

Rien n’était snob, tout était un don, mesuré, de ce qu’elle voulait offrir aux autres, comme un cadeau d’une veille de Noël, lors d’un échange, emballé dans une vieille chaussette, ou au mois de mai quand elle revenait du Nouveau-Brunswick, avec dans des glacières bien remplies, ce qu’elle faisait découvrir généreusement aux autres, le homard et le crabe, de son coin de pays. Elle offrait aussi sa vérité, pas compliquée, sa vérité tranchante, chevrottante quand elle riait, sa vérité jugeant le rouge sur les lèvres ou les noms farfelus que ma cousine et moi donnions à des souvenirs en peau de phoque, sa vérité de femme vraie, originale, toujours.

Pour moi elle était comme ça et je sais que c’est injuste, et que ce qu’elle est pour moi, ce n’est pas tout ce qu’elle était, et ce que je retiens peut être faussé, je me souviens, il y a près de deux ans, je lui disais que je m’ennuyais de ses salades, des salades avec des épinards et des noix, servie dans un bol de verre, énorme, trônant au milieu de la table de la maison sur la rue Neufchatel, et elle m’avait dit qu’elle ne faisait cette salade que très rarement, quand elle recevait, sinon jamais. Je ne sais pas si j’exagère aussi sa pièce, au sous-sol, sa pièce d’archiviste, qui me semblait pleine de journaux et de revues, classés, méthodiquement, comme il parait elle classait, selon une méthode particulière et irrévocable, les photos, les serviettes, les débarbouillettes.

Hélène est ma tante, celle qui m’a amenée à apprivoiser le pop art, au Musée des Beaux-Arts, celle qui me laissait dormir dans son lit, avec sa fille et des Émilie de la Nouvelle-Lune, ma tante qui ne grondait pas trop mes frères, même quand ils faisaient mille conneries en son absence, avec Vincent, son fils, comme renverser beaucoup d’eau dans l’entrée, en espérant que la gardienne tombe à la renverse et disparaisse de leur vie de petits polissons.

Hélène est ma tante, et la tante de Marc-André et de Xavier, et l’amie de ma maman, et surtout, surtout, la mère de Geneviève, une femme à la vivacité d’esprit aussi admirable que celle de sa mère, aux cheveux d’une Boucle d’or, et la mère de Vincent, qui collectionnait les macarons, enfant, et qui, encore, maintenant, il m’est impossible de le voir autrement qu’en petit cousin aux pantalons bouffants, choisis par sa maman, Hélène, la mère de ces deux enfants, sans doute déroutés, car comme chantait Barbara, qu’Hélène aimait autant que Bach,Voilà combien de jours, voilà combien de nuits/Voilà combien de temps que tu es reparti/Tu m’as dit cette fois, c’est le dernier voyage.

 

Myriam s’est mariée sur un coin de rue

mars 7, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Myriam drink

Elle est assise dans le lit de mon fils. Elle participe au délire des enfants : elle n’est pas assise dans le lit de mon fils, mais plutôt dans un bateau avec trois pirates et elle raconte des histoires de vomi.

Ma fille l’a fait répéter, impressionnée par tant d’interdits, elle veut entendre le mot, réentendre l’histoire, la garder en tête, pour la raconter à son père et se la raconter avant de s’endormir.

Myriam, en voyage, entre deux pays, a bu jusqu’à six heures du matin, avant de prendre un bateau. Elle avait un petit sac à vomi parce que la mer était trouble, c’était tempête, et son petit sac à vomi, comme celui de tous les autres occupants du bateau s’est vite rempli. Tout le monde était sur le quai et c’était grandiose, pour ma fille, d’imaginer une trentaine de personnes vomir en même temps.

Myriam a beaucoup voyagé, avant d’avoir des enfants et de porter des robes.

La grand-mère de Myriam devenait folle à chaque naissance, elle a eu huit ou neuf enfants, des décès, des enfants portés par les plus grands, alors qu’elle se reposait, perdue, destabilisée, dans un lit, à se réinventer un cocon ou à se rappeler son prénom.

La naissance de ses enfants a plutôt donné envie à Myriam de porter des robes.

Je l’ai connue en robe, dans sa cuisine tout aussi fifties que ses robes, j’ai connu Myriam alors qu’elle n’était plus sur un cheval en Italie, mais dans une cuisine ou dans un parc, ouverte à toutes les bêtises des gamins, gardant un œil sur sa tapisserie, demandant moins de bruit si elle se devinait une migraine, mais ouverte à construire des maisons en coussins, à offrir son chaton aux caresses de pompiers de deux et trois ans, à coller partout des personnages colorés, à laisser les billes glisser sous tous les meubles.

Elle concocte des cocktails en été, boit du scotch sous un parasol ou affalé dans un bean bag, retire ses robes pour son amoureux. Elle prend des photos et capte la tendresse dans tous les petits gestes, elle capte la beauté des miettes de bretzels sur une langue et des accidents d’autos en plastique, la sensualité de tous les tissus et brin d’herbes. Elle prend des photos et en a peu d’elle, et c’est dommage, parce que Myriam, elle est belle avec ses taches de rousseur et ses cheveux attachés ou détachés, et quand elle raconte des histoires pour enfants ou des histoires de champignons magiques, elle s’anime et devrait se retrouver sur mille photos.

Myriam n’a presque plus peur d’être sa grand-mère, sa mère, ou ses sœurs. Elle s’est mariée sur un coin de rue, a attendu des années avant de marcher sous la neige avec traineau et enfants derrière elle, et met du Gainsbourg chez elle, sans y penser, quand je viens la voir pour faire semblant de cuisiner des biscuits au chocolat.

Stephanie sous la neige

mars 6, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Stephanie

Je me versais de la vodka et de la Red Bull sur les seins et elle faisait semblant de laper. Elle ne buvait que de l’eau, et ce qu’elle réussissait à laper sur ma peau. Nous dansions, nous nous touchions, nous demandions à un barman de nous prendre en photo avec des sucettes dans la bouche ou avec le chapeau et la casquette de tous les clients du Confessionnal.

Elle terminait la soirée seule sur le plancher de danse, collant, elle dans ses robes de chez Marciano, ses robes comme ses lèvres, rouges, goûteuses, pleines. J’étais effondrée, à penser à un taxi ou à mon mec qui venait de me ramasser trois fois sur le sol, mes talons hauts ne supportant pas mes envies alcoolisées de danser comme Beyoncé.

Stephanie, elle, à trois heures du matin, elle terminait seule sur le plancher, à danser comme dans un vidéoclip, et elle suivait chez lui son amoureux, celui qui refusait de lui dire je t’aime en français, parce que ce n’était pas vrai, alors il lui répétait dans toutes les autres langues possibles.

Nous avions le même manteau et des désirs identiques, nous n’étions pas embarrassée de nous raconter nos rêves, nos obsessions, les photos nues qu’elle avait déjà envoyées à son patron, et je n’avais pas besoin de vodka ni de Red Bull pour lui révéler à quoi je pensais quand je me touchais.

Nous dansions autant que nous pleurions. J’étais sa petite sœur, elle ma grande sœur, pendant près de deux ans nous nous sommes envoyés des milliers de textos en anglais et en français, et confié des secrets, les yeux rougis, le visage blême, la morve sur nos robes Marciano, he doesn’t like me, he says I’m perfect and I am, I really am perfect for him, but he does not want me, et je la serrais dans mes bras et c’était ma petite sœur, et le poids de nos tristesses étaient plus lourd que le poids des boucles que nous portions aux oreilles.

Pendant une période de nos vies, nous nous détestiions mais nous aimions l’autre, je l’aimais parce qu’elle était naïve, elle croyait que Madonna n’avait jamais subi de chirurgie, je l’aimais parce qu’elle était vraie, et qu’elle se relevait de tout, de se faire défoncer par des mecs qu’elle n’aimait pas, de ne pas se faire assez aimer par sa maman, elle se relevait de tout, des maux de dos, des journées de trente heures, de la mort de son chat, et elle ne se plaignait pas, sauf si nous étions seules, et que nous pouvions, dans le noir ou sous la lumière blafarde d’une salle de bain, la veille du jour de l’An, se révéler à l’autre sans que personne ne nous entende.

Nous nous sommes revues il y trois ans, sous la neige, ses cheveux, sous la neige, son visage, sous la neige, elle était belle, puis nous avons continué à nous écrire, parfois, son anniversaire en janvier, son nouvel amoureux, nous ne nous invitons plus à danser, je ne danse plus, puis la dernière fois que nous nous sommes parlées, j’étais seule dans la chambre de ma fille et Stephanie me disait qu’elle avait peur, quand nous nous sommes connues, nous avons connu aussi le même homme, un soir pour ma grande sœur, et plusieurs soirs pour moi, et cet homme-là, au téléphone elle m’a dit qu’elle refusait de penser à lui, et à ces années-là, he won’t have to find me.

La fin de Nicole

mars 6, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

nicole

Elle habitait à l’étage au-dessus de mes beaux-parents. Les deux croient que son mari est innocent, parce qu’il était un juge, avant de se retrouver en prison, et que les autres juges étaient supposément jaloux de lui depuis des années.

« Ce qui est le plus triste dans toute cette histoire, c’est que je n’ai plus de taxi. Il me reconduisait souvent à l’aéroport, pour faire des courses. Il était très gentil. »

Ce qui est le plus triste, quand Nicole a été assassinée, c’est que mon beau-père n’a plus de taxi.

Quand une femme meurt, ou disparait, son visage se retrouve parfois sur des affiches à Maniwaki, ou enterré sous la terre de Juarez, quand une femme meurt, il a toujours des coupables, mais ils ne sont parfois jamais dénoncés, quand une femme meurt, ce qui est le plus triste ce n’est pas ça, ce n’est pas ça.

Le rire de Dana

mars 4, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Dana deux - Lauren Parker Photography

Dana ne pleure pas pendant Paul à Québec.

Deux amies nous avaient prévenues : « Amenez des mouchoirs. Le lendemain, quand nous sommes allés cueillir des pommes, nous ressemblions à deux filles qui avaient fêté toute la nuit, avec nos yeux gonflés et rouges. »

Dana, assise à côté de moi, ne bronche pas. Elle rit quand je m’étouffe chaque fois que je pense au raton laveur, elle rit surtout parce que je ris exagérément.

Quand nous sortons du cinéma, elle me dit que ça faisait longtemps qu’elle n’y était pas allée, et que c’était triste comme film mais pas vraiment triste, puisque des gens qui meurent moins bien entouré que le beau-père de Paul, elle en voit souvent, à l’hôpital. Ou en Roumanie. Son père, brûlé. Et le dictateur, exécuté à bout portant par un soldat encore nerveux d’en parler. Le soldat confiait, il y a deux ans, que son grand-père, un prêtre emprisonné sous Ceausescu, lui avait dit que tous ses péchés, ceux d’avoir tué deux personnes qui n’étaient par armées, soit Ceausescu et sa femme, tous ses péchés étaient pardonnés.

Dana se souvient des discours de Ceausescu, des applaudissements, puis des huées. Des insultes lors de l’exécution, télédiffusée. Elle se souvient aussi de l’uniforme qu’elle portait, fièrement. Il était beau, l’uniforme, et les écussons sur son gilet.

Nous marchons ensemble, et je sais que nous pourrions marcher longtemps ensemble, en placotant, ou en silence, parfois le silence est inconfortable, mais pas avec Dana, Dana elle connait la fatigue, la patience, nous pourrions marcher sans rien nous raconter, juste heureuses d’être sans garçonnet dans les bras ou au sein, juste nous, sans les enfants, sans nos hommes, nous dans le noir, près du jardin botanique.

Dana se rend souvent au jardin pour tricoter. Le tricot lui permet de ne penser à rien et de faire des pantoufles aux couleurs de La Reine des Neige. Depuis qu’elle est toute jeune, elle aime les activités qui demandent des mains minutieuses. Elle fait de l’origami, des centaines d’oiseaux en papier japonais, des oiseaux rappelant la légende des mille grues.

Cette légende raconte que si mille grues sont pliées en un an, et qu’elles sont retenues par un lien, une cordelette, un fil de pêche, si les mille grues sont liées entre elles, en un senbazuru, nos vœux de santé, de longévité, d’amour ou de bonheur seront exaucés. Il est recommandé aussi de fabriquer le senbazuru pour une personne en particulier, et de faire une prière pour chaque oiseau de papier terminé.

La légende a ainsi inspiré Sadako Sasaki, une jeune fille leucémique suite au bombardement de Hiroshima. Elle est morte, après avoir plié 644 grues. Ses camarades de classe ont achevé son travail. En 1958, le monument de la paix des enfants a rendu hommage au labeur de Sadako Sasaki, victime de la Deuxième guerre mondiale, et de ses camarades de classe : le monument immortalise Sadako, tenant une grue en or dans ses mains.

Au bas du monument, ces phrases: « Ceci est notre cri. Ceci est notre prière. Pour construire la paix dans le monde. »

Dana ne crie pas, je ne sais pas si elle prie, et elle ne pleure pas pendant Paul à Québec, mais quand elle se sent touchée par quelque chose, ça la gêne parfois, et alors elle va camoufler sa gêne dans un rire, étouffé, ou un rire en cascades. Dana ne rit pas que du raton laveur dans Paul à Québec ; elle rit quand on lui dit qu’elle a de belles jambes, de beaux sourcils, elle rit quand elle dit qu’elle n’a pas eu de gâteau pour son anniversaire.

Dana devrait toujours avoir un gâteau pour son anniversaire. Et des colliers choisis par sa fille.

Anne a un visage de chat

mars 1, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Anne

J’avais oublié son adresse ; je pensais m’en souvenir juste à regarder les fenêtres et les portes sur la rue de Lanaudière. Elle avait mal coupé les rideaux de sa chambre. Je croyais être capable de les deviner. J’avais tort, j’étais entrée chez quelqu’un d’autre, puis j’avais trouvé.

Je suis toujours en retard quand nous nous donnons rendez-vous. Anne a deux enfants, une robe à acheter pour avoir une robe le jour de son anniversaire, des futures mamans dont elle suit les nausées et les questions sur quel jus à prendre pour donner envie à l’enfant de danser la macarena, trois contrats, des photos de seins sur son cellulaire, un conseil d’administration, un maillot de bain à chercher chez une copine, des photos de fesses sur son cellulaire, du Baileys à avaler, une ferme à acheter, un amoureux, une lasagne pour dix à commander, des soirées karaoké et une boisson énergétique au congélateur, tout ça, mais elle n’est jamais en retard.

En compagnie de son fils, elle a sorti des œufs, des bananes, de la farine et des pépites de chocolat. Elle l’a laissé écraser et mélanger. J’étais en face d’eux, assise au comptoir, je les regardais, je regardais une danse, une mère et son fils qui s’échangent des verres de jus, une grosse cuillère de bois, une coquille d’œuf. Son fils est parti courir de sa chambre à la cuisine, de sa chambre au salon, de sa chambre dans mes bras. Anne, elle, a mis le gâteau aux bananes au four.

J’ai des amies qui ont mille vies et parfois j’ai l’impression de leur en demander plus, avec ma vie, qu’elles avec leurs nombres incroyables d’autres vies. Anne, elle ne demande rien. Elle dit quand elle s’ennuie. Elle demande du vin si j’en prends. Elle demande si je veux voir les photos de seins sur son cellulaire, et je dis que non, gênée, mais que mon chéri appréciera, et Anne et mon chéri rient et jugent et regardent des photos de seins, jusqu’à ce que mon chéri se lève pour un autre verre de vin, et qu’Anne vienne me murmurer ses craintes ou ses rêves ou ce qu’un photographe amateur de Fight Club lui écrit sur son joli minois félin.

Anne m’a déjà dit qu’elle voulait se marier dans une robe de la boutique Scandale, mais cette boutique n’existe plus. Elle dit aussi qu’elle ne sait pas si elle peut aimer toute une vie ou juste deux ans ou dix ans, elle n’a jamais eu l’air très certaine, même amoureuse, même grosse parce que les stérilets ou la pilule ça ne fonctionne pas sur les amazones, elle n’a jamais eu l’air très certaine, même si elle le souhaite pour d’autres, mais maintenant, maintenant qu’elle est avec un ours, son cœur libre a l’air libre avec un homme dessiné pour elle, un homme indolent, qui trouve des lettres d’amour sur un trottoir et qui raconte des histoires d’écureuil tué par erreur, sur une clôture en banlieue.

J’ai déjà pensé qu’Anne ne m’aimait pas.

Quand je l’ai connue, avant le gâteau aux bananes, son auto défoncée dans le quartier gai, le costume sexy de Jasmine enfilé dans son appartement, et ses inquiétudes pour moi quand j’allais faire des adieux à un homme dans un parc près de chez elle, quand je l’ai connue j’avais presque peur d’elle.

Je ne connais peut-être personne de plus faussement terrifiant, de plus doux, de plus tranquille même dans des sables mouvants, Anne veut tout, je crois qu’elle veut tout, mais elle veut surtout profiter de tout ce qui lui est offert, et j’aime quand elle me guide, dans une de ses vies quand la mienne la croise, sur un quai, à écouter, la nuit tombée, and thieves will sneak into your mind/ when you love too much/to make you believe you’re missing something.