Archive for juillet 2015

Des souliers à ne plus porter

juillet 11, 2015

souliers Quand je sors de chez moi, je mets surtout des gougounes ou des bottes de pluie.

J’ai des boites de souliers que je ne porte plus. Des souliers à talons très hauts, comme ceux qu’une copine a achetés pour une soirée, des souliers à talons de trois pouces, noirs, elle m’a montré une photo d’elle les portant, avec une nouvelle robe aussi, et elle a posé et elle a un sourire gêné, mais je la devine fière malgré tout, malgré les longs mois sans rien porter du genre, malgré le malaise de ne pas être en basket, de ne pas avoir la possibilité de se faire oublier dans une marée de mamans habillées presque comme elle – quoiqu’elle est la seule maman que je connaisse qui porte des crop tops et je l’admire en crisse, pas parce qu’elle a le courage de porter des crops tops, je trouve ça nul de vanter le courage de quiconque qui se sape comme il le veut bien, pas de bullshit à la mom body ici ou au pouvoir de montrer son nombril après trois grossesses, je l’admire juste parce que ça lui va vraiment très bien.

Si je mets surtout des gougounes ou des bottes de pluie –rouges ou noires, trop petites pour mes pieds tordus mais je les aime parce que ce sont des bottes pour monter à cheval, je leur trouve un look équestre et mes pieds sont déjà laids, alors si je les fais souffrir un peu plus, dans des bottes impossibles à retirer toute seule après, who care – c’est que mes souliers préférés, mes petits souliers jaunes, vintage, à boucles, avec un E au crayon de bois bleu, un E deviné sous la semelle, des souliers achetés cinq dollars à Tamy Emma Pépin, un soir d’hiver, dans son appartement magique, avec ses copines qui fumaient une dernière cigarette, puis une autre, devant une fenêtre ouverte, et la neige qui tombait, alors que j’achetais des perles et des souliers, en espérant trouver, après, une jupe taille haute noire aux Cours Mont-Royal, mes souliers préférés sont maintenant brisés, ouverts de partout, du bout pointu au talon, j’ai les pieds sales, à marcher avec même s’ils sont troués.

J’ai encore le collier de perles, je crois, à moins que ma fille ne l’aie caché, dans un tiroir de sa commode, celui qui contient deux diadèmes brisés, des élastiques piqués à sa halte-garderie et des fleurs séchées.

Nymphe et ex amie qui voulait prendre un bain

juillet 4, 2015

source polyvore.com

Aujourd’hui j’ai croisé une nymphe dans un wagon de métro, ses cheveux blonds avaient l’air plus soyeux que les ailes d’un oisillon, elle ne m’a pas reconnue tout de suite, nous nous parlons parfois de San Antonio, de peinture et de nos angoisses devant une patisserie bretonne, mais elle ne m’a pas vue, elle n’a vue que ma fille, ses trois robes l’une par-dessus l’autre et son jupon rose.

J’ai aussi croisé sur une terrasse un auteur qui me fait rougir dès qu’il me parle de cul, même si j’ai déjà eu trop de plaisir à ronfler à côté de lui, sur un matelas mouillé de son foutre et de notre sueur.

Sur la rue Mont-Royal il y avait aussi des filles irréelles, blondes aux cheveux noués, parlant entre elles, sur le trottoir, tout en faisant des positions de yoga. Elles avaient des bouches couleur fraises pas encore mûres et des taches de rousseur sur leurs joues.

Quand je suis revenue chez moi, il n’y avait pas de rosé dans le réfrigérateur. J’ai marché, avec les enfants, vers la SAQ en espérant y croiser la fille avec qui j’avais passé la soirée hier, celle dont le grand-père a tué la grand-mère, celle que je croyais Italienne ou Amérindienne, mais elle n’est pas ça, elle a le sang du reste du monde dans ses jambes, qu’elle déploie, qu’elle agite, pour ne pas rester nulle part.

Je ne l’ai pas vue, finalement, j’ai plutôt aperçu et dévisagé, une fille que je n’ai pas reconnue tout de suite, elle avait maigri mais elle avait la même coupe de cheveux qu’à dix-huit ans, quand elle tentait de me persuader de prendre un bain avec elle, parce que son ex meilleure amie, elle, acceptait, et qu’elle saurait bien me savonner partout partout.

Je ne sais pas quoi faire après

juillet 2, 2015

source polly from deviant art

Je ne peux pas dire quand est-ce que c’est devenu impossible de ne pas y penser.

J’ai eu besoin d’en parler, de répéter, à demi-mots, puis plus fort plus fort, ce qu’il m’avait fait.

C’était dur, à vivre, de vivre, puis c’était infernal, de savoir qu’il se proclamait solidaire à toutes celles qui dénonçaient enfin un agresseur, cet automne, l’automne des #agressionsnondénoncées. Une fausse compassion, créée comme un puzzle à assembler pour devenir le bon mec, pas celui qui force, pas celui qui écarte des jambes, des fesses, celui qui se fouette du consentement, parce qu’il est capable de bander et de jouir même quand la fille sous lui ne bouge plus.

J’ai écrit pour Je Suis Indestructible les raisons pour lesquelles même si je dénonce ce qui m’est arrivé, je ne poursuis pas mon agresseur.

Extrait :

« Le lendemain, j’espèrais qu’il s’excuse.

Il a plutôt dit que c’était la meilleure baise de sa vie.

Si je ne porte pas plainte, c’est que je ne veux pas avoir à expliquer les scènes en détail, je ne veux pas avoir à dire à des policiers ou à des avocats que je buvais la moitié d’une bouteille de vin par jour, si j’étais sage, et plusieurs shooters de Red Bull-Jägermeister, de vodka-Fresca et cinq-six gin tonic si je n’étais pas sage. Je ne veux pas avoir à expliquer que j’aime parler de mes seins, de mon sexe et de tout ce à quoi je pense quand je me touche avec un vibro, je ne veux pas avoir à expliquer que j’aime être soumise et insultée, parfois, sans être toutefois incapable de faire la différence entre un jeu et ce qui est innacceptable.»

C’était l’idée de Delphine Bergeron, d’écrire un témoignage pour Je Suis Indestructible. Elle, elle a écrit pourquoi elle avait réussi à poursuivre ses agresseurs en cour. J’ai toujours admiré Delphine, que je connais depuis quelques années. Son récit m’a montré à quel point elle était encore plus résiliente et admirable que je ne le pensais.

Extrait :

« Ce n’est pas lorsque mes agresseurs ont plaidés coupables que j’ai gagné. J’ai gagné la minute que j’ai commencé à parler. »

susan brison

Un autre article intéressant à lire est celui de Susan J. Brison, l’auteure d’Aftermath, qui racontait l’après-viol, l’après-attaque violente qu’elle avait subie en France. Ce qu’elle ne mentionnait pas dans ce livre, c’est qu’elle avait déjà été victime de viol avant. Elle tente d’éclaircir les raisons pour lesquelles les victimes d’agressions préfèrent parfois le silence aux démarches judiciaires.

Extrait:

« It’s time to stop asking rape survivors why they stayed silent and to start asking why some men rape and what we can do to stop enabling them. Only a small minority of men rape, but we need to acknowledge that this minority includes men we know and even revere. »