
Je fais une mini apparition à l’émission Banc Public, sur le sujet de la double vie.
Moi, ma double vie, c’était quand j’étais escorte, et que je devais mentir non par honte, mais par besoin de me protéger. J’en venais à me détester, à mentir, sur ce que je faisais, sur où je devais me rendre, après une Smirnoff Ice avec des copains. J’en avais mal au ventre, de revenir chez moi et de me retrouver devant rien, juste de l’argent à dépenser, le soleil pour m’aveugler pendant que je lisais trois revues à potins, pour me rapprocher de Jennifer Aniston parce que je n’osais pas me rapprocher de ma meilleure amie, je n’osais rien raconter, ni le plaisir, ni les peurs, parfois, ni la musique préférée d’un client, ni le massage avec une balle de tennis qu’un autre m’avait fait, je ne pouvais pas dire que les cheveux, après avoir été lavés cinq fois, ont l’air trop raplapla pour trouver ça glam, attendre et jouir en changeant mon prénom avec une autre personne qui change aussi son prénom.
Je mentais parce que les salopes, elles ne sont pas crues, elles ne sont pas aimées, elles sont questionnées, sans relâche, sur pourquoi elles sont des salopes.
Je suis encore une salope, mais je sais que je peux être crue, maintenant, un peu plus crue, quand je dis que je ne suis pas juste ça, payée ou pas, je ne suis pas juste ça.
Un autre texte vraiment intéressant sur les mensonges à répéter et la stigmatisation des travailleuses du sexe, Escorte : la vie dans le placard. Un témoignage sensible, fort, poignant.
Extrait : En fait, c’est ça qui a failli me faire craquer, me faire tout arrêter : l’obligation de mentir à tout le monde. Parce que j’ai peur de devenir « la pute », cette fille, là-bas, que sisi, je te jure, elle baise avec des mecs pour de l’argent. Que pfoua, c’est trop dégueu. Que c’est qu’une connasse vénale, ou une pauvre fille perdue, d’ailleurs, avec tout ce qu’elle a vécu, pas étonnant qu’elle soit tordue. Personne pourrait être amiE avec une fille pareille, encore moins partager son intimité. Baiser avec une pute, c’est la honte, et en tomber amoureuxSE, encore plus.
J’ai eu peur, et j’ai toujours peur, de me taper cette étiquette. D’être marquée au fer rouge. De ne plus jamais pouvoir revenir en arrière, d’être obligée de me confronter aux genTEs qui, en permanence, s’imagineront ma sexualité avec une curiosité avide et dégoûtée. Qui me réduiront à cette seule partie de moi : Decade, la pute.
J’ai pas envie d’avoir à me justifier. « Pourquoi tu fais ça alors que t’en as pas besoin financièrement ? Alors que tu pourrais faire autre chose ? Pourquoi t’infliges à ton entourage d’être pote avec une pute, ou amoureuxSE d’une pute ? Pourquoi t’arrêterais pas, ça serait tellement plus simple pour tout le monde, si t’arrêtais. Pourquoi c’est si important pour toi de coucher avec plein de genTEs ? T’es une salope égoïste ou quoi ? Ou alors c’est pour l’argent ? Mais du coup, t’es une connasse de matérialiste ou quoi ? Est-ce que c’est à cause de ton passé ? Est-ce que c’est parce que t’es traumatisée ? Tu donnes un pourcentage de ce que tu gagnes à quelqu’unE d’autre, mais c’est pas immoral ça ? C’est pas anti-féministe ? C’est pas contraire à tes principes ? Comment tu justifies ça ? Vas-y, on sort les pop-corns et on te regarde te débattre dans la boue face à nous »
Et moi, moi je suis marquée au fer rouge, comme elle dit, l’auteure du billet que je cite. Parce que lorsque j’apparais quelque part, c’est ex-escorte qu’on écrit pour parler de moi. Et ça ne me choque plus. Ça me surprend, toutefois, c’est bête, mais ça me surprend.