Archive for mars 2020

Elle a encore sa plaque d’employée du mois du McDonald

mars 29, 2020

Shot with NOMO INS W.

C’est l’anniversaire de ma mère. Les enfants viennent de manger de la sole. Ma fille m’avait demandé de la mayonnaise mais elle n’y a pas touchée. Je me la garde pour un hamburger plus tard.

Mon fils est fâché. Il n’a pas réussi à dessiner une fusée. Il s’inquiète que ma mère ne comprenne pas que ce soit une fusée. Il a ajouté de la couleur. Il n’est pas plus satisfait. La couleur camoufle les escaliers qu’il avait tracés. Ma fille est fière de son dessin : elle a dessiné ma mère, « sans les rides parce que ça prendrait trop de place dans son visage. » Elle est fière des cheveux. Elle les a d’abord dessinés bruns, puis elle y a ajouté du rouge. Ça donne une teinte qu’elle est certaine d’être celle de ma mère.

Ma mère m’a offert plein de vies de secours. Elle ne m’a pas comprise pendant longtemps, et moi, moi je ne réussirai jamais à la comprendre comme je réussis parfois à savoir les gens comme ils sont, quand ils s’offrent à moi et que je m’offre à eux, ma mère je ne saurai jamais ce qu’elle me cache mais elle m’a toujours dit beaucoup. Elle a encore sa plaque d’employée du mois au McDonald à la maison. Elle court toujours comme je ne saurai jamais courir même si elle m’y a encouragée.

Je l’aime et je ne lunche pas avec elle, comme nous faisons habituellement, avant de nous enfermer dans des cabines d’essayage. Pour nos anniversaires presque à même date, elle m’offre souvent une robe, pour que je sois comme je veux, l’an dernier c’était une robe bourgogne avec des fleurs. Je ne l’ai pas encore portée. J’ai grossi – ce n’est pas grave, gosh, mais je n’ai pas porté la robe, c’est tout. Elle ne me faisait plus un mois après l’avoir achetée. Et cette année je porterais n’importe quoi pour être avec elle, cachée ou non dans une cabine d’essayage, cachée ou non par nos secrets communs, je la connais ma mère et elle me connait aussi.

Je porte ses pantoufles aujourd’hui.

Shot with NOMO INS W.

More than a woman

mars 25, 2020

Shot with NOMO INS W.

merci à H pour le moment joyeux qu’elle m’a confié

J’ai un ami qui note dans un calendrier des Scouts toutes les ouvertures de nouvelles places de ramens. L’an dernier, je l’ai accompagné à deux reprises. La dernière fois c’était après que sa blonde soit partie en Colombie-Britannique. Elle est dans l’armée et elle doit suivre ce qui est attendu d’elle, pas juste savoir bien faire son lit le matin. Elle sera à Victoria pendant trois ans et la nouvelle avait assommé mon ami. Nous avions bu sur la rue Saint-Hubert, lors d’un vernissage de portraits de femmes qui font pipi accroupie dehors. Moi je suis allée une seule fois faire pipi dans la nature et c’était lors d’une Saint-Jean-Baptiste.

C’était à la campagne. Mon voisin jouait de la guitare en amateur sur une scène. Il faisait rimer « Québec » avec « s’il te plait un bec. » J’étais au secondaire; c’était la deuxième fête de la Saint-Jean où je n’accompagnais pas mes parents à la fête du village. Je me rendais au même endroit qu’eux, mais une heure plus tard, avec des gourdes de Sautons en cœur, remplies de bière blonde. Mes amies et moi avions peur qu’il y ait un gardien de sécurité alors nos gourdes étaient dans nos culottes, et nous avions attachés autour de nos tailles un gros chandail à capuchon.

Quand nous sommes entrés dans le parc il n’y avait pas de gardien de sécurité. Il y avait une tente sous laquelle des bénévoles donnaient des drapeaux et vendaient des chips, des 7up et de la Molson. J’avais reconnu des groupes d’élèves de notre école. Une fille portait la paire de shorts que je voulais au Ardène du centre commercial à quarante-cinq minutes de tracteur de chez moi. L’été je travaillais dans la buanderie de mon oncle, mais mon rêve c’était de travailler au Ardène et de dépenser la moitié de mon chèque de paie pour les sacs à surprises, vendus à la caisse, plein de lunettes fumées, de pinces à cheveux rose fushia et de bas en dentelle.

Une de mes amies est allée embrasser sa cousine. Elle a fait semblant qu’elle avait l’habitude de fumer du pot, comme si elle faisait ça encore plus souvent que de se couper maladroitement le toupet. Elle s’est étouffée. Je lui ai piqué le joint. J’ai tiré dessus et quand j’ai soufflé la fumée, je me suis sentie vieille, prête à déménager à New-York, à avoir un agenda aux cases remplies de cours de pastels gras, des pantalons patchés avec des étoiles. Je saurais un jour comment patcher mes pantalons. Fumer me fait encore cet effet. C’est le moment d’expirer, de tout projeter vers ailleurs, qui me donne l’impression d’avoir le contrôle sur tout.

J’ai passé le joint à la cousine et j’ai pris la main de Lena, une autre amie, pour que nous nous trouvions un arbre à nous, sous lequel s’asseoir et boire ce qu’il y avait dans nos gourdes de Sautons en cœur. Nous nous sommes arrêtées de groupe en groupe, avant de nous joindre finalement à des filles un peu plus vieilles. L’un d’elle sortait avec le frère de mon amie. Elle m’avait raconté qu’ils n’avaient pas la permission d’aller s’enfermer dans une chambre, alors mon amie avait la responsabilité de les divertir et de leur proposer de jouer aux dominos ou au Scrabble dès que les parents avaient peur d’une grossesse non désirée sur leur canapé, à coups de bassin dans des jeans serrés. J’étais contente de ne pas avoir de frère.

Nous ne buvions pas trop vite, nous voulions avoir de la bière jusqu’à minuit, mais chaque gorgée me donnait l’impression d’être plus saoule qu’à Noël, quand mes parents me donnent un verre de champagne. Il y avait les feux follets créés par tout ce qui se fumait, les rires, l’odeur de la bière renversée et de la sueur et de ceux qui espéraient baiser. Ils sentaient les échantillons de parfums de pharmacie et le bal de finissants raté.

Quand j’ai eu envie de pipi, j’ai juré que je serais incapable d’y aller toute seule. J’avais peur de couleuvres ou juste de me perdre et de passer la Saint-Jean-Baptiste à regarder des ombres sans deviner mes amies. Lena a proposé de m’accompagner. Nous avons avancé vers le fleuve Saint-Laurent, dans les hautes herbes à des dizaines de mètres de la berge. Je riais, je ne savais pas comment me placer. Lena m’a dit de baisser mon pantalon et de faire comme elle. Je craignais de faire pipi direct dans mon pantalon, alors j’ai d’abord retiré mes baskets, puis mon pantalon. J’ai mis ma petite culotte sur le dessus de mes jeans, pour ne pas qu’elle soit souillée. En prenant ma main, Lena s’est accroupie. « Ferme les yeux et fais comme si tu participais au concours du plus gros pipi du monde. »

J’ai d’abord senti que ça coulait sur ma cuisses et après, un jet, plus fort, entre mes jambes. J’étais fière d’avoir réussi à faire pipi dehors, comme si je méritais une mention très bien dans mon prochain bulletin. Je me suis rhabillée lentement, avec précautions, et j’ai repris la main de Lena. En marchant vers les feux follets et la musique et les moustiques qui aiment me piquer derrière les oreilles, je me suis tournée vers elle et elle était déjà tourné vers moi. C’était peut-être juste pour me demander si j’avais encore de la bière dans ma gourde. Je l’ai embrassée. C’était la première fois que j’embrassais une fille. Elle a serré fort ma main et son autre main est venue se déposer sur ma queue de pouliche. Elle a joué avec mes cheveux, les emprisonnant dans ses doigts, les libérant, et toujours le même mouvement, répété. Je ne voulais pas cesser de l’embrasser.

Maintenant je suis à Montréal et Lena est sur Facebook. J’aime cuisiner à la maison, avec les poils de mes chats comme accompagnement, trop souvent. Je n’aime pas particulièrement les ramens, mais j’avais invité Béatrice, ma nouvelle fréquentation, à la place que m’avait faite découvrir mon ami, quand son amoureuse était partie pour une autre province. Juste avant que nous soyons tous séparés, par l’isolement, pas par des vacances d’été d’école secondaire, nous avions profité d’une soirée ensemble. Nous nous connaissions un peu, nous avions été quelques fois à des lectures de poésie ensemble. Et cette soirée, c’était notre dernière, mais nous ne le savions pas.

J’y avais pensé, parce que je regardais les journaux, sans faire exprès, toute cette actualité qui ne me ramenait à rien, encore moins dans ses bras. Je n’avais rien dit, je n’avais pas parlé de ma peur et je n’avais pas proposé que nous regardions nos horoscopes. J’avais parlé de nos prochains plans, du jardin qu’elle voulait m’aider à organiser, pour les herbes dont je saupoudre tous mes plats, et elle m’avait rappelé qu’il y avait un cours de danse ouvert à tous au studio où elle étire ses jambes et les plie et fait mine de casser tout son corps, pour le reconstruire dans des chorégraphies que je ne connais pas encore. C’était trois jours plus tard.

Nous ne pouvions pas nous embrasser, ce soir-là. Quand nous sommes parties, chacune de notre côté, dans un escalier mécanique différent, et que nous nous sommes retrouvés face à face sur les quais du métro, j’ai mis la chanson More than a woman dans mes écouteurs.

J’ai dansé pour elle. Nous ne nous étions pas embrassées mais elle avait souri.

 

 

 

Confiez-moi un moment

mars 24, 2020

Ma fille m’a parlé de la marée basse, au Nouveau-Brunswick, des chemins que le sable lui permettait de créer, sur l’eau, avant de s’asseoir et de construire château de sable et bols de toilettes en sable (si je ne suis pas classe, ma fille ne l’est pas plus.)

Mon fils se souvient le goût d’un milkshake qu’il avait pris au cinéma, et je ne me souviens pas de leur avoir jamais proposé de milkshake au cinéma, mais je me souviens les salles presque désertes du cinéma de Saint-Léonard, où nous allions, avant de faire des courses avec des charriots d’épicerie (et d’aller chercher des capsules de canneberges et autres produits miraculeux chez Tau.)

Moi je me souviens, récemment, d’un moment hors du temps, un temps calculé surtout en fonction des mille pipis que je fais quand je bois de l’eau gazeuses aux fraises des bois et de la vodka. J’étais dans une usine transformée en ateliers d’artistes et autres bureaux. Il y a des corridors labyrinthes et au milieu de l’un, une ouverture vers ailleurs. C’était comme un faux décor, qui ne pouvait être vrai que pour moi. C’est là, dans une imitation de décor en carton-pâte, que je versais distraitement dans des verres en plastique du Dollorama, comme un élixir.

Vous avez un moment, une image, quelque chose, n’importe quoi, un souvenir, l’odeur d’une doudou lavée par votre mère, et vous vous voulez me donnez cet instant? Je le prendrais et le fictionnaliserait, pour en faire une nouvelle, que je publierais ici, pour que nous pensions tous à ce que ça signifie, un moment hors de la crise.