Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.
Dana ne pleure pas pendant Paul à Québec.
Deux amies nous avaient prévenues : « Amenez des mouchoirs. Le lendemain, quand nous sommes allés cueillir des pommes, nous ressemblions à deux filles qui avaient fêté toute la nuit, avec nos yeux gonflés et rouges. »
Dana, assise à côté de moi, ne bronche pas. Elle rit quand je m’étouffe chaque fois que je pense au raton laveur, elle rit surtout parce que je ris exagérément.
Quand nous sortons du cinéma, elle me dit que ça faisait longtemps qu’elle n’y était pas allée, et que c’était triste comme film mais pas vraiment triste, puisque des gens qui meurent moins bien entouré que le beau-père de Paul, elle en voit souvent, à l’hôpital. Ou en Roumanie. Son père, brûlé. Et le dictateur, exécuté à bout portant par un soldat encore nerveux d’en parler. Le soldat confiait, il y a deux ans, que son grand-père, un prêtre emprisonné sous Ceausescu, lui avait dit que tous ses péchés, ceux d’avoir tué deux personnes qui n’étaient par armées, soit Ceausescu et sa femme, tous ses péchés étaient pardonnés.
Dana se souvient des discours de Ceausescu, des applaudissements, puis des huées. Des insultes lors de l’exécution, télédiffusée. Elle se souvient aussi de l’uniforme qu’elle portait, fièrement. Il était beau, l’uniforme, et les écussons sur son gilet.
Nous marchons ensemble, et je sais que nous pourrions marcher longtemps ensemble, en placotant, ou en silence, parfois le silence est inconfortable, mais pas avec Dana, Dana elle connait la fatigue, la patience, nous pourrions marcher sans rien nous raconter, juste heureuses d’être sans garçonnet dans les bras ou au sein, juste nous, sans les enfants, sans nos hommes, nous dans le noir, près du jardin botanique.
Dana se rend souvent au jardin pour tricoter. Le tricot lui permet de ne penser à rien et de faire des pantoufles aux couleurs de La Reine des Neige. Depuis qu’elle est toute jeune, elle aime les activités qui demandent des mains minutieuses. Elle fait de l’origami, des centaines d’oiseaux en papier japonais, des oiseaux rappelant la légende des mille grues.
Cette légende raconte que si mille grues sont pliées en un an, et qu’elles sont retenues par un lien, une cordelette, un fil de pêche, si les mille grues sont liées entre elles, en un senbazuru, nos vœux de santé, de longévité, d’amour ou de bonheur seront exaucés. Il est recommandé aussi de fabriquer le senbazuru pour une personne en particulier, et de faire une prière pour chaque oiseau de papier terminé.
La légende a ainsi inspiré Sadako Sasaki, une jeune fille leucémique suite au bombardement de Hiroshima. Elle est morte, après avoir plié 644 grues. Ses camarades de classe ont achevé son travail. En 1958, le monument de la paix des enfants a rendu hommage au labeur de Sadako Sasaki, victime de la Deuxième guerre mondiale, et de ses camarades de classe : le monument immortalise Sadako, tenant une grue en or dans ses mains.
Au bas du monument, ces phrases: « Ceci est notre cri. Ceci est notre prière. Pour construire la paix dans le monde. »
Dana ne crie pas, je ne sais pas si elle prie, et elle ne pleure pas pendant Paul à Québec, mais quand elle se sent touchée par quelque chose, ça la gêne parfois, et alors elle va camoufler sa gêne dans un rire, étouffé, ou un rire en cascades. Dana ne rit pas que du raton laveur dans Paul à Québec ; elle rit quand on lui dit qu’elle a de belles jambes, de beaux sourcils, elle rit quand elle dit qu’elle n’a pas eu de gâteau pour son anniversaire.
Dana devrait toujours avoir un gâteau pour son anniversaire. Et des colliers choisis par sa fille.