Posts Tagged ‘Will Driving West’

Anne a un visage de chat

mars 1, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

Anne

J’avais oublié son adresse ; je pensais m’en souvenir juste à regarder les fenêtres et les portes sur la rue de Lanaudière. Elle avait mal coupé les rideaux de sa chambre. Je croyais être capable de les deviner. J’avais tort, j’étais entrée chez quelqu’un d’autre, puis j’avais trouvé.

Je suis toujours en retard quand nous nous donnons rendez-vous. Anne a deux enfants, une robe à acheter pour avoir une robe le jour de son anniversaire, des futures mamans dont elle suit les nausées et les questions sur quel jus à prendre pour donner envie à l’enfant de danser la macarena, trois contrats, des photos de seins sur son cellulaire, un conseil d’administration, un maillot de bain à chercher chez une copine, des photos de fesses sur son cellulaire, du Baileys à avaler, une ferme à acheter, un amoureux, une lasagne pour dix à commander, des soirées karaoké et une boisson énergétique au congélateur, tout ça, mais elle n’est jamais en retard.

En compagnie de son fils, elle a sorti des œufs, des bananes, de la farine et des pépites de chocolat. Elle l’a laissé écraser et mélanger. J’étais en face d’eux, assise au comptoir, je les regardais, je regardais une danse, une mère et son fils qui s’échangent des verres de jus, une grosse cuillère de bois, une coquille d’œuf. Son fils est parti courir de sa chambre à la cuisine, de sa chambre au salon, de sa chambre dans mes bras. Anne, elle, a mis le gâteau aux bananes au four.

J’ai des amies qui ont mille vies et parfois j’ai l’impression de leur en demander plus, avec ma vie, qu’elles avec leurs nombres incroyables d’autres vies. Anne, elle ne demande rien. Elle dit quand elle s’ennuie. Elle demande du vin si j’en prends. Elle demande si je veux voir les photos de seins sur son cellulaire, et je dis que non, gênée, mais que mon chéri appréciera, et Anne et mon chéri rient et jugent et regardent des photos de seins, jusqu’à ce que mon chéri se lève pour un autre verre de vin, et qu’Anne vienne me murmurer ses craintes ou ses rêves ou ce qu’un photographe amateur de Fight Club lui écrit sur son joli minois félin.

Anne m’a déjà dit qu’elle voulait se marier dans une robe de la boutique Scandale, mais cette boutique n’existe plus. Elle dit aussi qu’elle ne sait pas si elle peut aimer toute une vie ou juste deux ans ou dix ans, elle n’a jamais eu l’air très certaine, même amoureuse, même grosse parce que les stérilets ou la pilule ça ne fonctionne pas sur les amazones, elle n’a jamais eu l’air très certaine, même si elle le souhaite pour d’autres, mais maintenant, maintenant qu’elle est avec un ours, son cœur libre a l’air libre avec un homme dessiné pour elle, un homme indolent, qui trouve des lettres d’amour sur un trottoir et qui raconte des histoires d’écureuil tué par erreur, sur une clôture en banlieue.

J’ai déjà pensé qu’Anne ne m’aimait pas.

Quand je l’ai connue, avant le gâteau aux bananes, son auto défoncée dans le quartier gai, le costume sexy de Jasmine enfilé dans son appartement, et ses inquiétudes pour moi quand j’allais faire des adieux à un homme dans un parc près de chez elle, quand je l’ai connue j’avais presque peur d’elle.

Je ne connais peut-être personne de plus faussement terrifiant, de plus doux, de plus tranquille même dans des sables mouvants, Anne veut tout, je crois qu’elle veut tout, mais elle veut surtout profiter de tout ce qui lui est offert, et j’aime quand elle me guide, dans une de ses vies quand la mienne la croise, sur un quai, à écouter, la nuit tombée, and thieves will sneak into your mind/ when you love too much/to make you believe you’re missing something.

Merci pour

octobre 12, 2015

thilloy-ferron-83

Je voudrais noter tous les jours le nom de mon amie qui a souri quand je lui ai dit que sa robe noire était jolie, la conversation de trente secondes avec l’homme devant le marché Poivre et Sel, je ne savais pas qu’il avait deux enfants, un garçon de seize ans, et une fille, ce n’est pas sa fille, mais tout comme, je voudrais noter tous les jours les mots des autres qui me font réaliser qu’il y a du beau, maintenant, et pas juste de la terre à retourner, à prendre dans ses mains, pour enterrer enterrer, je voudrais noter les empreintes de rouge à lèvres sur mes joues après un baiser de la libraire et la saveur d’un diabolo à la Brûlerie St-Denis.

Mais j’oublie. Ce que je n’oublie pas, en ce jour de l’Action de grâce, c’est ça. Merci.

Les amis qui répondent à mes courriels passés minuit.

Les encouragements. Les élans. Les gens qui reviennent vers moi, ma cousine que j’aime, ses pas de danse, sur scène ou devant mes enfants, dans un restaurant ou aux funérailles de mon grand-père.

fleurs tapisserie

Des fleurs à cueillir partout. Des pissenlits à souffler avec ma fille. Des bouquets de fleurs séchées depuis des mois, dans ma cuisine.

Des mains dans mes cheveux, moi qui déteste les mains dans les cheveux, sauf mes mains dans tous les cheveux.

Mes enfants. Les anniversaires qui ne sont plus pénibles. Mes enfants qui me donnent leur force, leurs caresses, ils me caressent avec des branches d’arbres et avec leurs mains si douces, même sans crème au beurre de karité. Ma fille qui me dit qu’elle aime être une fille parce que les filles savent s’essuyer comme il faut.

Ma mère, qui garde mes enfants cinq heures, sans me poser de questions, sans me demander ce que je faisais, pendant cinq heures, et après, mes enfants qui me laissent faire la sieste, ils vident ma garde-robe et essaient robes et souliers. Mon fils court en talons hauts. Ma fille aime mon costume de Minnie Mouse et elle veut que je retrouve celui de Blanche-Neige.

Le jeu de tic tac toe, sur un tronc d’arbre coupé, dans une ruelle de Rosemont.

Ce qui me fait rire. Les publicités de cornets à la crème glacée de licorne. Les lampes parfaites pour les fessées. Pleurer autour d’une table de conférence, avec une fille qui parle de selfie, et nous pleurons de rire, comme des gamines, nous avons douze ans ou treize ans pendant quelques secondes et quelques larmes.

La halte-garderie, mes enfants vont à la halte-garderie, une journée par semaine, depuis un an, et j’en profite pour vider ma garde-robe et essayer robes et souliers, moi aussi.

La mère d’une amie, qui aime mes robes.

ombrelles

Les ombrelles du Quartier chinois.

Les cerises de terre, elles poussent devant ma maison et je ne le savais pas, avant la semaine passée.

Une voisine qui m’accueille sur son balcon et qui aime les orages, les cris, bouger ses pieds, ses mains, et les groupes Facebook de rencontres indignes. Une autre voisine qui marche des heures et préfère mes cheveux courts. Une autre voisine qui laisse un mot dans un livre que je lui ai prêté.

L’église près de chez moi, ses bancs, et le géant, qui y va presque tous les dimanches.

L’homme qui ressemble au Père-Noël et l’amour dans ses yeux quand il me parle de son amoureuse de 76 ans et du Stade olympique.

sangria

La sangria blanche d’une amie. Et ses chocolats en forme de chat.

Marcher avec les enfants, avoir mal et craindre qu’ils s’ennuient, puis écouter la musique de l’OSM, avec mes enfants qui mangent des hot dog et qui sont plus heureux qu’au parc.

Mon mec qui écoute les chansons que j’aime, les chansons d’un soap américain.

Mon oreiller et mon vibrateur et une réserve de piles AA.

Les prières. Attendre. J’apprends à attendre.

Le shampoing sec et les tenues portées trois jours de suite. Mon coiffeur et mes talons hauts dans une cuisine collective. Et le rouge à lèvres les journées de fatigue.

Mes frères, je n’ai pas besoin de leur dire quoi que ce soit, ils sont là. Et je suis là, aussi.

Les travailleuses du sexe, obstinées, qui font fuck you à la honte, à la stigmatisation et aux mensonges. Amnistie Internationale et la reconnaissance des droits des travailleuses du sexe.

Delphine Bergeron. Parce qu’elle est une battante, d’une férocité et d’une douceur que je ne connaissais pas.

Les soap américains. Les émissions écoutées très tard le soir, en faisant des redressements assis, ou des photos topless, ou une épilation minutieuse de sourcils.

Mes enfants parce que tout ce que je fais, je peux me dire que c’est pour eux, et je suis prête à faire beaucoup, pour eux, pour que ce qu’il reste, un jour, ne soit que nougat et sauts dans un lit pour quatre.

La gentillesse. Parce que les gens sont plus gentils que le laissent croire les commentaires sous les articles du Journal de Montréal.

Les photos du fils de ma meilleure amie, ça me rapproche d’elle et de son petit homme qui aime parler de câlins en espagnol.

La musique de Will Driving West. Live à la Sala Rossa ou toute seule dans mon canapé.

Gemma Bovery

Les livres, que j’ai lus, ou qu’on m’a racontés, dans un bain, sous les couvertures, dans un autobus, à bout de bras, comme une promesse à tenir, toujours, toujours. Journal d’un étudiant en histoire de l’art. This one summer. Mon chien qui pue. Gemma Bovery.

Mon père et ses nouveaux rêves, de Toronto et de bicyclette.

Tous les nouveaux rêves.