Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.
J’avais oublié son adresse ; je pensais m’en souvenir juste à regarder les fenêtres et les portes sur la rue de Lanaudière. Elle avait mal coupé les rideaux de sa chambre. Je croyais être capable de les deviner. J’avais tort, j’étais entrée chez quelqu’un d’autre, puis j’avais trouvé.
Je suis toujours en retard quand nous nous donnons rendez-vous. Anne a deux enfants, une robe à acheter pour avoir une robe le jour de son anniversaire, des futures mamans dont elle suit les nausées et les questions sur quel jus à prendre pour donner envie à l’enfant de danser la macarena, trois contrats, des photos de seins sur son cellulaire, un conseil d’administration, un maillot de bain à chercher chez une copine, des photos de fesses sur son cellulaire, du Baileys à avaler, une ferme à acheter, un amoureux, une lasagne pour dix à commander, des soirées karaoké et une boisson énergétique au congélateur, tout ça, mais elle n’est jamais en retard.
En compagnie de son fils, elle a sorti des œufs, des bananes, de la farine et des pépites de chocolat. Elle l’a laissé écraser et mélanger. J’étais en face d’eux, assise au comptoir, je les regardais, je regardais une danse, une mère et son fils qui s’échangent des verres de jus, une grosse cuillère de bois, une coquille d’œuf. Son fils est parti courir de sa chambre à la cuisine, de sa chambre au salon, de sa chambre dans mes bras. Anne, elle, a mis le gâteau aux bananes au four.
J’ai des amies qui ont mille vies et parfois j’ai l’impression de leur en demander plus, avec ma vie, qu’elles avec leurs nombres incroyables d’autres vies. Anne, elle ne demande rien. Elle dit quand elle s’ennuie. Elle demande du vin si j’en prends. Elle demande si je veux voir les photos de seins sur son cellulaire, et je dis que non, gênée, mais que mon chéri appréciera, et Anne et mon chéri rient et jugent et regardent des photos de seins, jusqu’à ce que mon chéri se lève pour un autre verre de vin, et qu’Anne vienne me murmurer ses craintes ou ses rêves ou ce qu’un photographe amateur de Fight Club lui écrit sur son joli minois félin.
Anne m’a déjà dit qu’elle voulait se marier dans une robe de la boutique Scandale, mais cette boutique n’existe plus. Elle dit aussi qu’elle ne sait pas si elle peut aimer toute une vie ou juste deux ans ou dix ans, elle n’a jamais eu l’air très certaine, même amoureuse, même grosse parce que les stérilets ou la pilule ça ne fonctionne pas sur les amazones, elle n’a jamais eu l’air très certaine, même si elle le souhaite pour d’autres, mais maintenant, maintenant qu’elle est avec un ours, son cœur libre a l’air libre avec un homme dessiné pour elle, un homme indolent, qui trouve des lettres d’amour sur un trottoir et qui raconte des histoires d’écureuil tué par erreur, sur une clôture en banlieue.
J’ai déjà pensé qu’Anne ne m’aimait pas.
Quand je l’ai connue, avant le gâteau aux bananes, son auto défoncée dans le quartier gai, le costume sexy de Jasmine enfilé dans son appartement, et ses inquiétudes pour moi quand j’allais faire des adieux à un homme dans un parc près de chez elle, quand je l’ai connue j’avais presque peur d’elle.
Je ne connais peut-être personne de plus faussement terrifiant, de plus doux, de plus tranquille même dans des sables mouvants, Anne veut tout, je crois qu’elle veut tout, mais elle veut surtout profiter de tout ce qui lui est offert, et j’aime quand elle me guide, dans une de ses vies quand la mienne la croise, sur un quai, à écouter, la nuit tombée, and thieves will sneak into your mind/ when you love too much/to make you believe you’re missing something.