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Milles Batailles pour se mimer hors de soi

juin 3, 2016

mille batailles

La danse, je ne comprends pas ça, je ne peux pas l’analyser, je ne peux pas comprendre comment se commence et se crée un mouvement, et comment ça se termine, c’est destabilisant, c’est me retrouver devant des mots que je ne maitrise pas, devant un autre langage et d’autres corps, des corps qui utilisent l’espace comme je ne réussis pas à l’utiliser.

Avant d’aller assister à Mille Batailles, je n’ai rien lu, rien écouté sur le spectacle, parce que je ne voulais pas voir ce que les critiques auraient perçu et deviné, je voulais comprendre juste ce que je pourrais comprendre, et peu importe si j’inventais dans ma tête de fausses raisons et de fausses histoires aux mouvements de danse de Louise Lecavalier et de Robert Abubo.

Mille Batailles, c’était un ring, un cul-de-sac et parfois un damier. Louise Lecavalier, seule, au début, avait les pieds qui bougeaient si rapidement qu’elle semblait sur un tapis roulant, et sa gestuelle, si proche de son visage, laissait croire qu’elle portait un masque.

Un masque pour se défaire et se refaire. Des mimes pour sortir de soi et ressortir de soi et ne plus savoir comment être soi.

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Quand Robert Abubo est allée la rejoindre sur scène, les deux danseurs tentaient des rapprochement, mais même dans une tentative de lutte, ils ne se touchaient pas. Comme si se défaire de soi nous éloignait non seulement de toutes nos guerres intimes, mais aussi de ce qui pourrait nous consoler ou nous blesser chez l’autre.

Sans points de repères, avec une lumière rouge qui faiblissait, les danseurs se sont aussi retrouvés contre un mur. Je ne savais pas quoi y déceler, des mouvements d’araignée prise dans sa propre toile, ou de divinités indiennes qui tentaient de repousser ce qui semblait trop fort ou lourd à combattre.

À la fin, après une heure de danse, les deux danseurs étaient assis, retirés, l’un contre l’autre. Ils étaient plus perdus ou moins perdus qu’avant. Je n’ai pas décidé.

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Élisa est une conquérante

mars 9, 2016

Du 8 février au 8 mars, j’ai envie de vous présenter des femmes que j’aime. Chaque jour, pendant un mois, une femme. Un mois en attente de la Journée internationale de la femme, que cette journée signifie quelque chose pour vous ou non. Ces femmes, je les aime. Elles sont importantes parce qu’elles ont un prix Nobel ou parce qu’elles sont les premières avec qui j’ai joué à Alerte à Malibu dans ma piscine.

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photo: Myriam Lafrenière

Elle glisse : « Les vers de terre en jujube, c’est long comme les pénis. » Je lui demande de répéter et elle répète et elle rigole, pendant que je fais pareil. Elle me demande ensuite de la regarder et elle danse, et je devine qu’elle tente d’emprunter des mouvements à notre vidéo préférée, un extrait du Petit musée de Velasquez, elle aime les bras qui bougent vite, elle aime les jambes qui bougent vite, et elle aime tomber et se relever, et elle me montre comme elle tombe, et je la trouve belle, je la trouve belle de précipiter et d’aimer les chutes, et de se relever, pour faire une révérence et une grimace.

Elle me demande souvent de la regarder, et je la regarde et quand je ne la regarde pas, je regrette mais je me dis aussi qu’elle doit être seule parfois, seule à se regarder dans le miroir, seule pour inventer des histoires, avec sa petite voix de dictatrice, cachée sous trois couverture et deux déguisements enfilés l’un par-dessus l’autre. Elle dit aussi : « Ce n’est pas grave si j’ai le rhume, l’important c’est que je me trouve belle. », déformant mes propos, déformant ce que je lui dis quand elle me demande si elle est belle.

Ma fille a la beauté d’une conquérante, la beauté imparfaite d’une chevalière qui combat des méchants loups imaginaires en robe de Cendrillon, elle n’aime pas les mensonges, elle demande toujours si c’est vrai, si c’est vrai que je mangeais la nourriture de mon chien, quand j’avais son âge, si c’est vrai que mon grand-père chassait les chevreuils, si c’est vrai que les raisins c’est bon pour le caca.

Elle demande déjà si souvent si c’est vrai qu’elle est belle, et je ne redoute pas encore le poids de ses obsessions, parce qu’elle est plus flamboyante que belle, impolie devant ceux qui ne se soumettent pas à elle, elle n’aime pas les câlins sauf ceux de son frère, ou les miens et ceux de son père, quand elle brise ses lunettes préférées ou qu’elle écoute Le Chant de la mer et qu’elle me fait jurer de ne jamais partir comme la mère dans le film scandinave, je lui jure de ne jamais disparaitre, et je me jure de ne jamais vouloir crever, pour elle, parce que même quand nous crions et claquons les portes, à quatre ans déjà, parce que même quand elle se refuse à moi, je sais qu’elle a besoin de mes dessins de pouliche, des morceaux d’ananas que je lui coupe, des berceuses, des secrets que nous nous disons, quand nous sommes sous la table ou au fond d’une garde-robe.

Quand elle s’ouvre à moi et qu’elle me dit un secret, le nom de sa planète préférée ou sa désolation de savoir que sa meilleure amie ne veut plus se marier avec elle, quand elle s’ouvre à moi la vie est parfaite, et je ne pourrais jamais vouloir crever, grâce à elle, grâce à mon arrache-cœur, comme son père l’avait surnommée, à sa naissance, mon arrache-cœur, ma conquérante, ma petite fée, mon oiseau, j’ai un collier, brisé, un collier que j’avais acheté pour elle, pour célébrer mon ventre qui s’arrondissait, c’est un collier avec une cage et un oiseau, parce que j’aime les oiseaux, mais j’ai brisé, en l’échappant, le collier, et il ne reste plus que la cage, l’oiseau, l’oiseau est libre, et cet oiseau représente bien plus ma fille qu’un collier à attacher, ma fille ne s’attache pas et ne se met pas en cage.

Elle dit aussi que le père de Jésus est un magicien et qu’il a tout créé, sauf les maisons, parce que les maisons, ce sont les humains qui les font. Quand elle parle, elle structure tout, sa pensée, la mienne, et elle termine, c’est vrai, c’est vrai maman, et tout est vrai, tout est vrai si elle le dit, je ne pourrai jamais lui dire qu’elle ment si elle ment, parce qu’elle réussit à tout rendre vrai, à tout rendre vivant, comme le père de Jésus, elle rend tout vivant, et ses jambes qui bougent vite, comme Louise Lecavalier dans Le petit musée de Velasquez, et ses bras bougent vite, et ses yeux cherchent les failles dans les miens, mais je garde la tête haute et je la soutiens, oui c’est vrai, Élisa, c’est vrai.

Avant elle était dans mes bras, elle y dormait, elle passait son temps contre mon cœur, et maintenant que parfois elle me boude, parfois je ne la regarde pas, parfois je redoute nos cris, maintenant, je vais la rejoindre, la nuit, et je dors près d’elle, une peluche en guise d’oreiller, et elle ouvre parfois les yeux, elle me regarde, étonnée, pose un bras sur mon bras, et nous dormons, et le lendemain, elle ne s’en souvient pas.

Elle ne se souvient pas de mon souffle contre son visage, quand elle dormait, et je suis déçue, car lorsque je dors tout près d’elle, tout est calme et paisible, et ça me semble racheter mes exigences, mes emportements, mes cris, injustes, et elle ne s’en souvient pas.

Parce que nous sommes chanceux

mai 2, 2011

 

Je ne sais pas ce que ça voulait dire, je ne sais pas si c’était pour nous montrer que nous serions toujours des gamins, la peur au ventre, l’envie de fuir tout en sachant que nous nous ne pouvions pas courir plus loin que dans les bras de l’autre, les oreillers blancs sur la tête, comme des masques, comme des menaces, je ne peux plus t’écouter, parfois, tu ne peux plus m’écouter, parfois.

Je ne sais pas si c’était pour nous montrer que nous serions toujours des kamikazes dans l’amour, des bêtes qui se griffent le dos avant de se mettre à genoux, pour se dire je t’aime.

Tu étais si beau, ta main sur la mienne, ma main sur ta cuisse, je ne sais pas si tu avais envie de pleurer, comme moi, en regardant Louise Lecavalier et Patrick Lamothe, ni si tu sais comme je veux te remercier de préférer les spectacles de danse aux spectacles d’humour, et de me trouver belle, plus grosse et pleine de toi, de nous, chaque jour.

L’an dernier j’étais laide, même lorsque je sautais sur le lit d’un hôtel, en écoutant Ciara, en te regardant terminer une Corona light, j’étais laide, même les ongles parfaitement vernis et la peau légèrement hâlée, je te rejoignais à ton travail, je m’arrêtais avant au salon de bronzage, je gardais les yeux fermés, chaude, et je me demandais si tu me pardonnerais.

En quittant l’Usine C, nous avons marché dans les ruelles, je cherchais un chat à caresser, et  je voulais m’acheter de la crème glacée aux pacanes, mais surtout je voulais bien croire que j’étais capable de danser, et j’ai repris ta main, j’étais contre toi, sur la pointe des pieds parce que je ne porte plus que rarement des souliers à talons hauts, et tu m’as embrassée, doucement, nos bouches à peine entrouvertes, et je sais que toi aussi, à ce moment-là, tu disais pareil comme moi, nous sommes chanceux d’avoir l’autre, et nous sommes allés trop loin pour nous perdre, je me le ferai tatouer, dans quelques mois.