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More than a woman

mars 25, 2020

Shot with NOMO INS W.

merci à H pour le moment joyeux qu’elle m’a confié

J’ai un ami qui note dans un calendrier des Scouts toutes les ouvertures de nouvelles places de ramens. L’an dernier, je l’ai accompagné à deux reprises. La dernière fois c’était après que sa blonde soit partie en Colombie-Britannique. Elle est dans l’armée et elle doit suivre ce qui est attendu d’elle, pas juste savoir bien faire son lit le matin. Elle sera à Victoria pendant trois ans et la nouvelle avait assommé mon ami. Nous avions bu sur la rue Saint-Hubert, lors d’un vernissage de portraits de femmes qui font pipi accroupie dehors. Moi je suis allée une seule fois faire pipi dans la nature et c’était lors d’une Saint-Jean-Baptiste.

C’était à la campagne. Mon voisin jouait de la guitare en amateur sur une scène. Il faisait rimer « Québec » avec « s’il te plait un bec. » J’étais au secondaire; c’était la deuxième fête de la Saint-Jean où je n’accompagnais pas mes parents à la fête du village. Je me rendais au même endroit qu’eux, mais une heure plus tard, avec des gourdes de Sautons en cœur, remplies de bière blonde. Mes amies et moi avions peur qu’il y ait un gardien de sécurité alors nos gourdes étaient dans nos culottes, et nous avions attachés autour de nos tailles un gros chandail à capuchon.

Quand nous sommes entrés dans le parc il n’y avait pas de gardien de sécurité. Il y avait une tente sous laquelle des bénévoles donnaient des drapeaux et vendaient des chips, des 7up et de la Molson. J’avais reconnu des groupes d’élèves de notre école. Une fille portait la paire de shorts que je voulais au Ardène du centre commercial à quarante-cinq minutes de tracteur de chez moi. L’été je travaillais dans la buanderie de mon oncle, mais mon rêve c’était de travailler au Ardène et de dépenser la moitié de mon chèque de paie pour les sacs à surprises, vendus à la caisse, plein de lunettes fumées, de pinces à cheveux rose fushia et de bas en dentelle.

Une de mes amies est allée embrasser sa cousine. Elle a fait semblant qu’elle avait l’habitude de fumer du pot, comme si elle faisait ça encore plus souvent que de se couper maladroitement le toupet. Elle s’est étouffée. Je lui ai piqué le joint. J’ai tiré dessus et quand j’ai soufflé la fumée, je me suis sentie vieille, prête à déménager à New-York, à avoir un agenda aux cases remplies de cours de pastels gras, des pantalons patchés avec des étoiles. Je saurais un jour comment patcher mes pantalons. Fumer me fait encore cet effet. C’est le moment d’expirer, de tout projeter vers ailleurs, qui me donne l’impression d’avoir le contrôle sur tout.

J’ai passé le joint à la cousine et j’ai pris la main de Lena, une autre amie, pour que nous nous trouvions un arbre à nous, sous lequel s’asseoir et boire ce qu’il y avait dans nos gourdes de Sautons en cœur. Nous nous sommes arrêtées de groupe en groupe, avant de nous joindre finalement à des filles un peu plus vieilles. L’un d’elle sortait avec le frère de mon amie. Elle m’avait raconté qu’ils n’avaient pas la permission d’aller s’enfermer dans une chambre, alors mon amie avait la responsabilité de les divertir et de leur proposer de jouer aux dominos ou au Scrabble dès que les parents avaient peur d’une grossesse non désirée sur leur canapé, à coups de bassin dans des jeans serrés. J’étais contente de ne pas avoir de frère.

Nous ne buvions pas trop vite, nous voulions avoir de la bière jusqu’à minuit, mais chaque gorgée me donnait l’impression d’être plus saoule qu’à Noël, quand mes parents me donnent un verre de champagne. Il y avait les feux follets créés par tout ce qui se fumait, les rires, l’odeur de la bière renversée et de la sueur et de ceux qui espéraient baiser. Ils sentaient les échantillons de parfums de pharmacie et le bal de finissants raté.

Quand j’ai eu envie de pipi, j’ai juré que je serais incapable d’y aller toute seule. J’avais peur de couleuvres ou juste de me perdre et de passer la Saint-Jean-Baptiste à regarder des ombres sans deviner mes amies. Lena a proposé de m’accompagner. Nous avons avancé vers le fleuve Saint-Laurent, dans les hautes herbes à des dizaines de mètres de la berge. Je riais, je ne savais pas comment me placer. Lena m’a dit de baisser mon pantalon et de faire comme elle. Je craignais de faire pipi direct dans mon pantalon, alors j’ai d’abord retiré mes baskets, puis mon pantalon. J’ai mis ma petite culotte sur le dessus de mes jeans, pour ne pas qu’elle soit souillée. En prenant ma main, Lena s’est accroupie. « Ferme les yeux et fais comme si tu participais au concours du plus gros pipi du monde. »

J’ai d’abord senti que ça coulait sur ma cuisses et après, un jet, plus fort, entre mes jambes. J’étais fière d’avoir réussi à faire pipi dehors, comme si je méritais une mention très bien dans mon prochain bulletin. Je me suis rhabillée lentement, avec précautions, et j’ai repris la main de Lena. En marchant vers les feux follets et la musique et les moustiques qui aiment me piquer derrière les oreilles, je me suis tournée vers elle et elle était déjà tourné vers moi. C’était peut-être juste pour me demander si j’avais encore de la bière dans ma gourde. Je l’ai embrassée. C’était la première fois que j’embrassais une fille. Elle a serré fort ma main et son autre main est venue se déposer sur ma queue de pouliche. Elle a joué avec mes cheveux, les emprisonnant dans ses doigts, les libérant, et toujours le même mouvement, répété. Je ne voulais pas cesser de l’embrasser.

Maintenant je suis à Montréal et Lena est sur Facebook. J’aime cuisiner à la maison, avec les poils de mes chats comme accompagnement, trop souvent. Je n’aime pas particulièrement les ramens, mais j’avais invité Béatrice, ma nouvelle fréquentation, à la place que m’avait faite découvrir mon ami, quand son amoureuse était partie pour une autre province. Juste avant que nous soyons tous séparés, par l’isolement, pas par des vacances d’été d’école secondaire, nous avions profité d’une soirée ensemble. Nous nous connaissions un peu, nous avions été quelques fois à des lectures de poésie ensemble. Et cette soirée, c’était notre dernière, mais nous ne le savions pas.

J’y avais pensé, parce que je regardais les journaux, sans faire exprès, toute cette actualité qui ne me ramenait à rien, encore moins dans ses bras. Je n’avais rien dit, je n’avais pas parlé de ma peur et je n’avais pas proposé que nous regardions nos horoscopes. J’avais parlé de nos prochains plans, du jardin qu’elle voulait m’aider à organiser, pour les herbes dont je saupoudre tous mes plats, et elle m’avait rappelé qu’il y avait un cours de danse ouvert à tous au studio où elle étire ses jambes et les plie et fait mine de casser tout son corps, pour le reconstruire dans des chorégraphies que je ne connais pas encore. C’était trois jours plus tard.

Nous ne pouvions pas nous embrasser, ce soir-là. Quand nous sommes parties, chacune de notre côté, dans un escalier mécanique différent, et que nous nous sommes retrouvés face à face sur les quais du métro, j’ai mis la chanson More than a woman dans mes écouteurs.

J’ai dansé pour elle. Nous ne nous étions pas embrassées mais elle avait souri.

 

 

 

S’attendre à ce que des monstres soient moins effrayants que la chair froissée par presque rien

avril 9, 2019

Shot with NOMO INS W.

Aimée n’aime pas la crème glacée mais elle aime les baleines et changer de couleur de cheveux.

Ce n’est pas suffisant pour dire qui est Aimée, mais c’est le genre de trucs essentiels à noter sur Aimée. C’est aussi ma seule amie de l’université. À l’époque, je portais des nuisettes de chez Urban Outfitters et je lisais déjà ses textes et je dansais avec elle, et danser, c’était très particulier, pour une fille comme moi dont le corps était à moitié à moi et à moitié à un rêve.

J’étais escorte et payée pour être touchée, mais dans les cours de danse tout le monde pouvait me toucher et ce rapport me perturbait. Ça reste, encore, les premières mains, sur moi, dès le premier cours, un souvenir de défi et de douleurs. C’était facile, me déshabiller au vestiaire, écouter les autres filles qui vantaient ma maigreur tout en trouvant désolant mon manque de grâce. J’aurais dû bien danser, avec mes jambes et mes bras et mes seins inexistants. Je n’existais presque pas, je découpais mes jupes en jeans et je mettais des push-up bras et je tombais mieux en talons hauts que je ne dansais. Ce que je faisais de pire – tenter d’apprendre à danser – n’était heureusement pas une activité solitaire.

J’étais avec Aimée.

 

Aimée n’aime pas la crème glacée et je le sais seulement depuis que je lui ai envoyé un sticker de crème glacée sur Facebook. Aimée écrit aussi des livres pour enfants. Aimée écrit pour tout le monde, pour les filles dont les souvenirs sont brûlés vif, pour les filles qui sont trop pleines de vide, elle écrit pour moi et pour les autres, et quand je la lis, je la découvre chaque fois.

C’est comme un coup. Imprévisible. Je la connais, elle me dit ce qu’elle veut, ce qu’elle ne veut plus, ce qui la rend triste ou fière, devant un plat chez Pacini – Aimée aime aller chez Pacini comme moi, merci Aimée de combler cette envie de bar à pains et de pizza aux crevettes trop cuites – mais quand je la lis, c’est différent. Je prends ses mots en plein cœur, sans l’interrompre, sans l’empêcher de tout dire, il n’y a plus mes histoires, il n’y a plus nos téléphones qui font des bruits de cristal au moindre texto.

Elle vient de publier Monstres Marins et c’est encore plein de coups que je prends direct au coeur. Des coups et des envies de câlins.

 

 

 

Quand je lis quelqu’un, je continue de parler de moi et d’écrire sur moi, et c’est une habitude horrifiante, se sentir concernée par tout et assez intéressante pour répéter inlassablement ce que je suis. En lisant Aimée, pourtant, ça ne me semble pas si mal, ça me permet de créer un lien, entre elle et moi, entre celle qui « revendique mon [son] eyeliner de pétrole » et n’importe qui pouvant s’imaginer comme « une pierre aux facettes beurrées, un vernis écaillé, des morceaux de Rubik’s éparpillés, une veine qui ressort sur le dos de ta main. »

Shot with NOMO INS W.

Aimée et moi nous nous connaissons depuis des années, depuis la danse, les cheveux rouges, les chats disparus, les clubs vidéo. Nous avons eu le temps de faire des milliers de vœux. Je ne me souviens plus si elle voulait vraiment un fils qui s’appelle Bowie, mais elle voulait un fils, ou une fille, elle voulait autre chose que « le raz-de-marée de ce qui n’a jamais vu le jour. »

 

 

Elle « ne me [se] coupe plus, mais du sang s’échappe derrière moi [elle]. » Il y a l’attente, dans ce recueil, l’attente de l’autre, la continuité de serments qui ne seraient pas que des serments, qui iraient contre la perte ou contre ce qui n’a pas existé, ou « les lambeaux de demain. » Aimée n’est pas seule, mais le semble presque, dans son recueil, où les mots se heurtent parfois au silence, ou plutôt au vide. Incomprise comme la baleine qui l’a inspirée; elle émettait des sons sur une autre fréquences que les autres. Personne ne l’entendait ni ne lui répondait. Aimée a quelqu’un, elle est « le béluga à gogo » d’un « albatros trop chanté. » Elle reste « un musée de mon [son] vivant », spectaculaire, là, pour tout prendre, tout accepter, des marées, du papier cadeau enflammé, mais elle ne gagne pas « au bingo sur le calendrier. »

Elle ne gagne pas. Une femme ne gagne pas, à rester une « championne immaculée. » Une femme a des exigences à respecter. Aimée le sait et l’écrit : il faut être pleine et avoir les eaux qui se répandent, fièrement, pour avoir une succession de bêtes, pour ne jamais vraiment disparaitre, ou il faut s’appliquer à être d’un vide acceptable, d’un vide qui ne gonfle pas faussement, il faut un ventre plat ou des enfants, il faut Bowie et d’autres, il ne faut pas être lourde de coquillages, surtout pas ceux qui sont fêlés, imparfaits, à jeter à la mer.

Il y a peut-être une « fin du monde mais en plus beau », et Aimée est là et ses Monstres Marins aussi. Peut-être que je l’ai lue seulement avec mes souvenirs de corps qui voulait être disséqué : je voulais être comprise et comprendre pourquoi je n’avais rien en moi. J’ai eu quelque chose en moi. Je ne suis pas plus vivante qu’Aimée, mais ses mots me rappellent des absences. Nous ne sommes jamais seules, mais presque, nous sommes dans l’attente de, et il y a les monstres qui veillent.

Milles Batailles pour se mimer hors de soi

juin 3, 2016

mille batailles

La danse, je ne comprends pas ça, je ne peux pas l’analyser, je ne peux pas comprendre comment se commence et se crée un mouvement, et comment ça se termine, c’est destabilisant, c’est me retrouver devant des mots que je ne maitrise pas, devant un autre langage et d’autres corps, des corps qui utilisent l’espace comme je ne réussis pas à l’utiliser.

Avant d’aller assister à Mille Batailles, je n’ai rien lu, rien écouté sur le spectacle, parce que je ne voulais pas voir ce que les critiques auraient perçu et deviné, je voulais comprendre juste ce que je pourrais comprendre, et peu importe si j’inventais dans ma tête de fausses raisons et de fausses histoires aux mouvements de danse de Louise Lecavalier et de Robert Abubo.

Mille Batailles, c’était un ring, un cul-de-sac et parfois un damier. Louise Lecavalier, seule, au début, avait les pieds qui bougeaient si rapidement qu’elle semblait sur un tapis roulant, et sa gestuelle, si proche de son visage, laissait croire qu’elle portait un masque.

Un masque pour se défaire et se refaire. Des mimes pour sortir de soi et ressortir de soi et ne plus savoir comment être soi.

mille batailles 2

Quand Robert Abubo est allée la rejoindre sur scène, les deux danseurs tentaient des rapprochement, mais même dans une tentative de lutte, ils ne se touchaient pas. Comme si se défaire de soi nous éloignait non seulement de toutes nos guerres intimes, mais aussi de ce qui pourrait nous consoler ou nous blesser chez l’autre.

Sans points de repères, avec une lumière rouge qui faiblissait, les danseurs se sont aussi retrouvés contre un mur. Je ne savais pas quoi y déceler, des mouvements d’araignée prise dans sa propre toile, ou de divinités indiennes qui tentaient de repousser ce qui semblait trop fort ou lourd à combattre.

À la fin, après une heure de danse, les deux danseurs étaient assis, retirés, l’un contre l’autre. Ils étaient plus perdus ou moins perdus qu’avant. Je n’ai pas décidé.

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