Quand je vais au théâtre, j’ai toujours peur d’avoir envie de pipi pendant la pièce. J’avançais vers l’Usine C, et je pensais à ça, à mon envie de pipi et à un selfie à prendre avec mon amie Laura et à une photo de mes souliers à prendre une fois que je serais assise au théâtre et à mon rouge à lèvres corail que je n’avais pas eu le temps d’appliquer sur mes lèvres avant de prendre l’autobus.
Puis j’ai tout oublié, quand un Jésus au sang semblable à de la sauce à poutine, selon lui, a commencé à saluer les spectateurs et je placotais, je pensais que Jésus était un apéro aux Armoires Normandes, mais ce n’était pas un apéro, c’était la pièce, comme m’a chuchoté une spectatrice devant moi. Honteuse, je suis restée silencieuse, avant de rire et de souffler des OMG pendant toute la pièce, au titre rappelant le cadeau offet aux jeunes mariés en France, des armoires normandes.
Mon beau-frère et ma belle-soeur en ont reçu comme cadeau de noces il y a vingt ans; c’est pour ça que je sais ça, fièrement.
Parfois je pense que rien ne me choque et parfois je me trouve choquée par tout. Quand un comédien a mimé faire caca sur une toilette, j’étais choquée, mais j’avais hâte de voir s’il allait bien s’essuyer. Et il s’est bien essuyé, avant d’embrasser une créature trouvée dans sa cuvette. J’étais choquée, mais c’est vraiment chouette être choquée. C’est comme se donner la permission de porter du rouge et du rose et une perruque en même temps. C’est choquant, mais ça délivre de tout, je me sentais opprimée par fuck all à ce moment-là, quand le mec a fait caca, je me sentais pas opprimée ou inquiétée par quoi que ce soit, même si je portais un corset trop serré.
photo par Philippe Lebruman
Quand le comédien a tenté de rentrer ses couilles dans son anus, j’étais impressionnée et contente que ce ne soit pas une activité quotidienne de mon mec. Puis, le comédien s’est tué, en énumérant plein de raisons, Trump et le Québec libre et l’espionnage à la CAQ, et je me suis sentie super mal quand il a dû répéter son suicide à de nombreuses reprises, pour finalement faire semblant de viser des spectateurs.
Les Chiens de Navarre, avec cette pièce divisée en saynettes, créent le malaise autant que les réjouissances et les souvenirs communs.
Les Armoires Normandes nous confrontent au sexe et à l’amour, à ce qui est cru et presque tendre, et à ce qui peut être beau le temps d’un couplet, puis affreux, quand les voix faussent et se faussent. C’est quoi l’amour et le désir et pourquoi nous nous aimons ou pourquoi nous voulons que se faire avaler des papiers de divorce comme Brad et Angelina, c’est général, mais c’est pas général avec les Chiens de Navarre. Ça devient du spectaculaire, avec des confettis, des lumières de stroboscopes, des amoureux qui montent sur des spectateurs pour se retrouver. Ça devient moqueur, touchant, ridiculisé et pourtant tout simple, quand un comédien dit qu’un couple, c’est “un plus un” et voilà, et surévalué quand une comédienne impose à son partenaire qu’aimer, c’est un acte de rebelle, qu’elle compare à reprendre le cabinet de dentiste de son père, un expert en molaires, c’est risqué, l’amour, quand ça reste dans le traditionnel avec un masque sur le reste.
Entre les invités à un mariage qui discutent du prix d’un billet d’avion (“800 francs et un seul sandwich!”) et un couple qui se défait, parce que l’amour, ça ne rend pas meilleur, l’amour ça ne réussit pas à se divertir de soi-même, à s’éloigner de la médiocrité et des discours de meubles à déplacer, l’amour c’est aimer, et aimer, c’est quoi, c’est pas résolu comme question, entre les invités et le couple qui se déteste et une chanson de William Sheller, rien ne se résout. Mais tout est à célébrer. Le grotesque de la pièce, qui en jette niveau liberté et plaisir, et l’amour, peu importe si ça rend heureux ou obscène.
Les Armoires Normandes, des Chiens de Navarre, à l’Usine C jusqu’au 23 septembre.