Je l’ai répété souvent, on ne me croit pas toujours, mais je le répète encore : jamais je ne me suis sentie rabaissée par des clients, alors que j’étais escorte. Mais combien de fois me suis-je sentie rabaissée par des femmes, qui se disent féministes abolitionnistes? Un nombre incalculable de fois.
Pourquoi?
Parce qu’elles disent donner une voix aux travailleuses du sexe qui n’en ont pas, tout en refusant une voix à celles qui veulent dire autre chose que leur discours habituel (style « Je me drogue parce que je suis une prostituée. Je déteste les hommes. Blablabla. » – Cette voix existe bien, et c’est important de l’entendre et de l’écouter aussi, mais ce n’est pas le seul discours des prostituées.)
Parce que ces prétendues féministes me refusent un choix, me refusent d’être, me refusent un plaisir. J’ai souvent discuté de la question des abolitionnistes avec des copines ou d’autres travailleuses du sexe, me demandant qui elles étaient vraiment, ce qu’elles avaient vécu par le passé qui les motivaient à dénigrer certaines travailleuses du sexe et les hommes qui fréquentent les travailleuses du sexe.
Jamais je n’avais pensé faire un rapprochement entre leur impérialisme à la je-vais-vous-sauver-même-si-vous-ne-savez-pas-que-vous-devez-être-sauvées et les théories de Freud. J’ai trouvé un article qui vulgarise le tout, et je trouve cela génial. Je vous invite à en lire un extrait, puis à le consulter si la chose vous intéresse autant que moi.
« On voit que là où la morale victorienne opposait la femme respectable (bourgeoise) à la femme socialement inférieure (la putain), à une période où le capitalisme était en plein essor, l’abolitionnisme se veut sans opposition de classes, ce qui le conduit non pas à vouloir cantonner la prostitution (celle-ci était très active sous l’ère victorienne, dans les bas-fonds de Londres par exemple), mais à vouloir sa disparition. C’est ainsi que s’est ajouté au clivage entre la madone et la putain, un clivage entre les hommes et les femmes.
Ce double clivage procède à l’étouffement d’une question qui concerne les femmes en général : celle de leurs pulsions sexuelles. Si la prostituée doit être victimisée, c’est parce qu’elle doit être niée comme femme possible, en étant érigée en victime de la sexualité des hommes. Il s’agit là de préserver l’image de la femme respectable, qui ne peut pas l’être si elle a elle-même des pulsions sexuelles aussi dérangeantes que celles des hommes.
La prostituée victimisée par le discours abolitionniste, sans lui demander son avis sur la question, est donc plutôt haïe que défendue par les féministes abolitionnistes. Cela explique que ces dernières ne tiennent aucun compte des conséquences sociales de la pénalisation des clients pour les personnes se prostituant. Dans la mesure où les pulsions sexuelles sont décrétées relever du seul sexe masculin, et que celles-ci représentent le mal absolu, la prostituée respectable n’est pas concevable, et elle porte atteinte à l’image de la femme en général. »
Étiquettes : abolitionnisme, féminisme, prostitution
février 2, 2012 à 5:18 |
J’aime tes propos! J’aurais aimé te voir répondre en commentaire sur cet article, histoire de faire valoir ton(excellent) point de vue ailleurs que sur ton blog. Malgré tout, un(deux) gros thumbs up pour toi ma belle 🙂
février 2, 2012 à 5:05 |
Je t’avais écris il y a plusieurs mois alors que je faisais un travail scolaire sur la prostitution dans le quartier St-Saveur de Québec. En tant que future travailleuse sociale, je crois fermement que plusieurs individus jugés « déviants » le sont seulement selon les valeurs « collectives » et je m’efforce le plus possible de défendre le droit de quelqu’un à vivre dans un environnement sale, proche de l’insalubrité s’il le désire, par exemple. Après tout, qu’est-ce que les professionnels de la santé peuvent bien avoir à dire sur le mode de vie de quelqu’un si ça lui convient et tant que cela ne nuit pas à sa santé/sécurité? Toujours est-il, pour en revenir à mon travail scolaire du la prostitution, j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé le moindre texte ou article faisant mentions de travailleuses du sexe qui exerçaient ce métier par choix et avec bonheur. J’ai trouvé ça bien questionnant et je me suis demandé si je ne trouvais pas de tel texte car il n’existait pas de travailleuses du sexes heureuses ou parce qu’on ne voulait pas en trouver… Bref j’ai eu une bonne note, mais pas de bonne réponse. Et je conclus avec une citation du prof qui m’avait donné ce travail: « la déviance accentue la conformité »
février 2, 2012 à 5:16 |
Silverma: Je n’ai pas lu les commentaires…Je vais y retourner!
Catherine: Je me souviens de toi! Il me semble que je t’avais répondu, non? (J’espère!) Quoi qu’il en soit, mon témoignage dans Escorte est un texte qui dit mon contentement face à mon choix, les nombreux éditoriaux d’Amélie Jolie et d’Ariane Valmont dans les journaux aussi…Ailleurs qu’au Québec, il y a Ovidie, Annie Sprinkle, Violet Blue qui ont écrit très positivement sur leur expérience dans l’industrie.
Sinon, si on ne trouve rien, ou si on n’écrit pas sur ces travailleuses, c’est peut-être parce que les gens heureux ne font tout simplement pas les nouvelles…
Une travailleuse sociale me disait que j’étais une exception dans le milieu parce qu’elle n’avait jamais rencontré de prostituée qui allait bien…c’est assez évident de comprendre qu’une prostituée qui va bien ne va tout simplement pas voir les travailleuses sociales. Elle n’a pas besoin des ressources que d’autres utilisent pour avoir soutien, appui et conseils.
Bisous y’all!
février 2, 2012 à 5:19 |
Oui oui, tu m’avais bien répondu et j’ai lu tous les articles dont tu parles. Malheureusement les articles de journaux et ton livre ne sont pas considérés comme des « articles scientifiques » et je ne peux les utiliser dans mes travaux… Ce serait du matériel potentiel pour une thèse ou un mémoire, mais honnêtement j’en ai assez des études :P. Ça serait juste vraiment plaisant d’avoir une autre référence que les travaux de Rose Dufour en la matière.
février 2, 2012 à 5:59 |
Ah c’est dommage…et plus subjectif que scientifiques, les écrits de Rose Dufour!
Bravo pour tes études en tout cas, et je t’invite à lire ma scientifique préférée: http://www.lauraagustin.com/
Bisous!
février 5, 2012 à 12:48 |
Selon moi, les filles de la génération qui suit celle des boomers sont plus ouvertes, libres et maîtres de leurs corps et pensées. Ce qui me porte à croire que le % des filles qui ne veulent pas être sauvées par les-mémères-bien-pensantes-qui-veulent-sauver-le-monde-sans-trop-savoir-de-quoi-il-retourne augmentera significativement dans les prochaines années. I.e. de plus en plus de filles font ce métier pcq c’est payant, pcq dans bien des cas le sexe est le fun après tout et que le revenu par heure travaillée est acceptable, voire bien.
En fait je pense que de plus en plus de filles deviennent escortes par choix, plaisir et désir de dollars, plutôt que le traditionnel stériotype de la droguée nécessiteuse (qui malgré tout représentera toujours une bonne proportion des travailleuses du sexe).
Il faut simplement que la société se mette à jour et elle le fera au fur et à mesure que les boomers laisserons leur place à la génération actuelle.
Il suffit d’attendre et le tout rentrera dans l’ordre.
août 9, 2012 à 11:34 |
Certaines féministes oui, mais pas toutes. Je me demande si c’est mal être féministe, aujourd’hui…
août 10, 2012 à 12:55 |
Ce n’est certainement pas mal! Mais si tu relis mon billet, tu verras que je mentionnais et critiquais les féministes abolitionnistes. Pas les féministes en général, juste les féministes abolitionnistes. Je suis féministe. Il est toutefois dommage qu’à cause de leur influence, les féministes abolitionnistes poussent certaines femmes à se déclarer non longer féministes, comme le Dr Brooke Magnanti (aka Belle de Jour il y a des années sur la blogosphère), harcelée et sans cesse conspuée par ces femmes faussement féministes (car qui peut se déclarer pour la cause des femmes tout en refusant que toutes les voix des femmes soient entendues?).