Quand Pierre-Yves McSween écrit à mon patron pour demander mon congédiement

Samedi, le comptable/auteur/chroniqueur Pierre-Yves McSween s’est interrogé sur Facebook à propos d’une annonce immobilière. « L’annonce ne dit pas « à 23 secondes d’un bar de danseuses de la rue Ontario »…ni à 1 minute du Bercy : restaurant de haute gastronomie. Je me demande pourquoi… » Une amie escorte m’a fait parvenir une capture d’écran. Les escortes ne vivent pas enchaînées à un lit de motel : nous nous parlons de tout, des éponges à utiliser quand nous sommes menstruées, des mauvais clients et de tous les jugements qui nous pourrissent la vie, comme celui de Pierre-Yves McSween.

Dans le fil de commentaires de sa publication Facebook, il en profitait aussi, selon une jeune femme qui avait communiqué avec lui et qui habite avec sa fille à deux minutes de la maison en vente, pour dire qu’il fallait manquer de jugement pour habiter un quartier comme ça, plein de « prostitution de rue et de drogues », et que c’était donc nocif pour les enfants.

Je lui ai rétorqué, via Twitter, que si ce n’était pas indiqué, le Bercy et le bar de danseuses nues, c’était peut-être parce que tout le monde avait encore les mêmes préjugés que lui (outre le fait que les agents immobiliers n’ont pas à faire la carte touristique de chacune des demeures à vendre).

Il en a profité pour interpeller mon employeur, le Sac de Chips du Journal de Montréal, via Twitter et messages privés, afin de comprendre pourquoi j’étais encore une de leurs employées. Il a aussi souligné que je ne savais pas lire.

Ce n’est pas vrai.

J’ai déjà lu à voix haute un essai pendant que j’étais filmée, la queue d’un mec entre les fesses.

J’ai lu aussi beaucoup de livres avant d’avoir dix-huit ans et mille amants, j’ai lu Du côté des petites filles, la même édition que ma mère avait lue d’abord, celle qu’elle avait annotée et soulignée au crayon Bic, j’ai lu un recueil de poésie américaine dans le sable; je l’avais acheté dans une librairie où il y avait trois ou quatre chats, j’ai lu Virginie Despentes et des revues Maxim, et le lendemain je ne tuais personne. J’allais enseigner le ski à des enfants de quatre ans ou je chantais Hit me baby one more time et Evita dans l’escalier de mon école privée.

Aimer pour ne pas avoir à se prouver que tout est possible ailleurs

C’est une amie qui chantait avec moi. Elle habite en Suisse maintenant. Je n’ai jamais voyagé, je le regrette, ça et ne pas être devenue une espionne, ce sont peut-être mes seuls regrets. Quand j’ai eu dix-huit ans je suis tombée en amour avec le même homme qui m’avait laissée quand nous avions quinze ans. Il préférait jouer au base-ball avec ses copains plutôt que de me tenir la main. Je me suis mariée avec lui au lieu de devenir une fille au pair dans une famille londonienne. C’était par amour ou parce que comme ça, je n’avais rien à prouver. Je n’avais pas à apprendre à cuisiner autre chose que des grilled cheese. Je n’avais pas à apprendre à conduire. Je n’avais pas à prendre l’avion sans laisser à mes parents des lettres dans lesquelles je leur disais des secrets, si j’étais trouvée morte dans l’océan. Je leur laisse toujours des lettres comme ça, dans des paquets de céréales ou au congélateur. Si je disparais, ils sauront tout de moi, entre des croquettes au simili poulet et des morceaux d’ananas congelés.

Si je suis devenue escorte c’est parce que je trouvais ça ennuyant être libraire. Pas parce que je ne savais pas lire. Ni parce que je suis faite pour plaire. J’ai les yeux cernés. Je ris en grognant comme un cochon. Je mange des Cheetos et de la pizza toute garnie au lit. Je ne sais pas plier un drap contour et je n’ai pas envie de regarder des vidéos sur youtube pour savoir comment. J’ai les ongles cassants, et même si je prie le soir avant de m’endormir, je ne pardonne pas ni n’oublie facilement, je ne veux pas, je me souviens encore du goût des derniers repas avant chacune de mes ruptures, je me souviens des ballerines que je ne pouvais pas porter pour toi, je me souviens de tout sauf de la première fois que j’ai vu ma fille.

Les filles comme moi qui sont payées

Je me souviens aussi de toutes les remarques faites sur les filles comme moi. Les filles payées pour des fellations avec condom à la menthe. Les filles payées pour écouter. Les filles payées pour sommeiller entre une réunion d’affaires et un vol vers Tokyo. Les filles payées pour caresser les marques d’une guerre sur le dos d’un homme ou celles d’un cancer. Les filles payées pour aimer les cicatrices. Nous les aimons souvent les cicatrices. J’en ai au poignet. Comme des bracelets tracés au couteau. J’avais quinze ans, seize ans et plus de vingt ans. C’était pour ne pas hurler.

Maintenant je hurle et je porte les bracelets de boutons et de fil de pêche que me créent ma fille.

Tout ce que je sais faire à part chanter l’alphabet

Quand un homme connu, cette fin de semaine, a ridiculisé les filles comme moi, a écrit que c’était nocif, élever des enfants dans un quartier avec des filles qui dansent et des filles qui sont debout sans attendre un autobus, avant d’écrire que je ne savais pas lire et qu’il ne comprenait pas pourquoi j’écrivais encore, pourquoi j’étais payée pour écrire, je ne l’oublie pas.

Je sais sucer. Je sais aussi encore pleurer devant des films pour enfants. Je suis allée voir Ferdinand, avec mes enfants et mon amoureux, et j’ai pleuré, quand, devant le gentil taureau, les spectateurs ont lancé des fleurs rouges. Je pleure souvent. Je sais pleurer et choisir un mascara bien waterproof.

Et je sais lire, même si je n’ai pas lu le livre de celui qui s’est moqué de moi et même si je ne me sentirai jamais plus importante que ceux qui ne savent pas. Il y a un homme qui venait me voir avant, il me parlait de la marque de ses jeans et de Wong Kar Wai, et je lui parlais de littérature nordique. Il y un autre homme qui était un soir médecin et un mois après il construisait des gratte-ciels ou vendait des cellulaires. Il y en a d’autres qui me prenaient dans leur bras et ça suffisait pour qu’ils se jouissent dessus. Un qui m’a demandé s’il pouvait chuchoter salope à mon oreille. Aucun pour me faire sentir comme si je ne méritais pas d’écrire et d’être entendue quand je hurle doucement ou quand je rentre des faux ongles dans la paume de mes mains.

Je demande des excuses.

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20 Réponses to “Quand Pierre-Yves McSween écrit à mon patron pour demander mon congédiement”

  1. Jacinthe Says:

    Non seulement tu sais lire; tu SAIS ÉCRIRE! quel beau texte, quel magnifique texte!

  2. salif Says:

    xd , faut que je lise tes bouquins 🙂

  3. Sylvie Hebert Says:

    Vous Pierre-Yves McSween avez le cerveau entre les testicules bien au chaud ….le problème c’est qu’un esprit enfermé comme ¢a ca n’évolue pas….

  4. Jacques Davidts Says:

    Beau.

  5. Marie Says:

    Eille je taime toi. V-M est un bon quartier. Et au bercy c’est bon même si il ferme bientôt (agrandissement du iga). Go girl mets lui s’en plein la geule a ce snob trop frisé.

  6. Guy Says:

    Bon McSween qui sait pas quoi qui parle et permet de juger , je le trouvais pertinent dans ses interventions , mais là Ah plein de préjugés degueulasse quel con , merci McSween de nous montrer ton vrai visage , vraiment laid reste dans les chiffres le jugement cest pas ton fort

  7. josee Says:

    quel beau texte. merci.

  8. Pascale Cormier Says:

    Merci pour cette leçon de dignité. Ce bellâtre médiatique ne vous arrivera jamais à la cheville. ❤

  9. Lorsque McSween questionne la pertinence de Mélodie Nelson au JDM… | La Clique du Plateau Says:

    […] Texte complet sur le blogue de Mélodie Nelson! […]

  10. Annie Archambault Says:

    Merci Mme Nelson… Je me suis toujours demandé si j’avais de besoin d’un livre qui me demandais si j’en avais vraiment besoin… Je ne sais pas si vous savez lire, mais vous écrivez très bien!!!

  11. Ariane Says:

    super beau texte, reste forte, t’es magnifique!

  12. Joffroi Durelle Says:

    C’est magnifique. J’en ai le souffle coupé. J’appuie ce que vient d’écrire madame Cormier. La vraie guidoune, parce que vulgaire, parce que pleine aux as, c’est l’auteur qui se veut maintenant un curé moralisateur auto-roclamé. Dites, Melodienelson, avez-vous déjà publié ?

  13. lolmaquerelle Says:

    Magnifique

  14. Vickie Says:

    Et vlan dans les dents, tête de gland 👍🏻

  15. Marc-André Beaucage Says:

    Ça change la perception qu’on a d’une personne….
    Comme toujours il devait réfléchir au niveau financier de la chose, mais c’est quand même tout un préjugé de penser de la proximité de certains établissement de nature encore tabou pour certain affecte le prix de vente …..

    Sa prochaine chronique : Les bars de danseuses, en avons-nous vraiment [de] besoin? ¬¬

  16. Dominique Says:

    Tu m’as donné envie de payer pour un peu d’amour…

    • Joffroi Durelle Says:

      Si j’habitais Montréal, moi aussi je voudrais faire une telle dépense et même l’inviter dans un grand restaurant (le Bercy ?) , y faire chier les bourgeois et terminer la soirée en montant avec elle à la chambre d’un grand hôtel pour une nuit d’orgie douce et magnifique. Mais…je n’habite pas Montréal et je n’ai pas les ressources pour offrir à elle et à moi un tel luxe. Je veux quand même la remercier de m’avoir donné, bien involontairement de sa part, l’occasion d’échafauder pareille mise en scène d’un beau fantasme.

  17. Kalha Says:

    Wow

  18. dianerioux Says:

    Bravo pour cette réponse. Le silence n’achète rien et nous fait reculer. Merci d’écrire. De dire. Je souhaite de tout cœur que ses excuses te soient faites.

  19. Être toujours à part | Mélodie Nelson Says:

    […] de rupture entre elle et ces personnes qui boivent du Orange Crush entre deux clients à masser. Je n’ai pas cette même retenue envers les hommes. Je ne dois rien aux hommes. Ça me brise, de voir des femmes qui préfèrent croire qu’elles […]

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