Je ne sais pas quand je suis devenue furieuse.
J’étais furieuse contre tout, petite, je faisais des fanfares dans mon quartier, avec des casseroles et des flutes à becs, mais je faisais aussi des pétitions, que je jurais envoyer à un ministre après. Mes parents les gardaient plutôt dans un portfolio.
Après, j’ai eu envie d’être parfaite, mais je ne l’étais pas, et ça me tentait de parler trop fort et de vomir pour qu’on sache que je ne l’étais pas, ni parfaite ni dupe, et que c’était insupportable, d’être dans un collège privé qui encourageait une curiosité à sens unique, une curiosité vers l’excellence et les prix Méritas, pas une curiosité vers les cryptes et les poils pubiens. J’étais sage, j’avais des yeux ouverts grand grand pour mes professeurs, quand je ne dessinais pas des femmes toutes nues dans mes cahiers.
Il parait que j’ai déçu des professeurs quand ils ont su que j’avais fait la pute. Ils se sont demandé ce qu’ils auraient pu faire, pour que je ne devienne pas moi. Je ne pense pas qu’ils auraient vraiment voulu me payer pour que je suce leur queue en écoutant du Léo Ferré. Je pense que j’aurais fait la pute de toute façon, parce que je le voulais, comme j’ai voulu teindre mes cheveux en noir, comme j’ai voulu des enfants et comme j’ai voulu crier je t’aime, saoule, chaque fois que je me rendais au dépanneur, dans St-Henri, pour acheter de la bière et des croustilles à l’aneth pour un mec qui n’aimait pas les sabots que j’achetais chez Urban Outfitters.
Je suis furieuse depuis qu’un mec a écrit sur un blogue ce qu’était le consentement sexuel, alors que ce mec, c’est celui qui m’a prise de force. Je suis furieuse et je me force à ne pas l’être, je suis furieuse et je pourrais faire des graffitis partout, avec son nom, mais je ne le fais pas, et je ne me coupe pas les cheveux, et je ne recommence pas à faire la pute, je suis juste furieuse et j’ai pensé à l’origine de ma colère, quand j’ai lu sur l’affaire Baupin.
L’affaire Baupin, ça a commencé avec un tweet.
« Ironiquement, c’est un gazouillis féministe sur Twitter qui a déclenché ce qu’on appelle aujourd’hui « l’affaire Baupin ». Le député du parti Europe Écologie – Les Verts (EELV) y apparaissait avec la bouche peinte en rouge, en geste de solidarité avec les femmes victimes de violence.
C’était trop pour la militante verte Elen Debost, longtemps harcelée par le politicien qui l’inondait de textos explicites, style : « J’ai envie de voir ton cul » ou « Je voudrais te sodomiser », et autres grossièretés.
Devant l’image de Denis Baupin posant en défenseur des droits des femmes, Elen Debost a eu envie de vomir et de hurler, écrit-elle sur Facebook. Avant de demander : « N’y a-t-il pas des limites à l’indécence ?»
Moi ça n’a pas commencé avec un tweet, mon histoire avec lui, mais ma colère, oui, elle vient peut-être de presque rien, d’un article, dans lequel il défendait le courage des femmes qui dénonçait, alors qu’aucune ne le dénonçait, lui.
Je ne sais pas quoi dire sauf que ma colère, elle n’est pas rien, je ne sais pas la transformer en autre chose, mais elle est là et elle est solidaire avec la colère de toutes les autres femmes qui ont décidé de ne pas se soumettre à quelque chose qu’elle n’était pas, muette, nous ne sommes pas muettes, et nous ne nous transformerons pas en vandales ni en justicières, pas toutes pas toutes, mais nous ne sommes pas muettes, please pretty please.
À lire aussi sur les suites de l’affaire Baupin : « « On ne peut pas dire à une femme, quel que soit son statut, qu’elle soit salariée, étudiante, chômeuse, mère au foyer ou élue, à propos d’une collègue : « A part ses seins magnifiques, elle est comment? ». On ne peut lui dire d’un air graveleux : « Ta jupe est trop longue, il faut la raccourcir » ou « Est-ce que tu portes un string? ».
« L’impunité, c’est fini »
« Ce que nous racontons est arrivé à certaines d’entre nous ou certaines de nos paires, mais là n’est pas la question. Cela arrive tous les jours à des femmes dans les transports, dans les rues, dans les entreprises, dans les facultés. Cela suffit. L’impunité, c’est fini. Nous ne nous tairons plus. » »
Étiquettes : Affaire Baupin, agressions sexuelles, Denis Baupin, Elen Debost, harcèlement sexuel
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